Prix unique du livre : l’éducation commerciale

La devanture de Gibert Jeune, il y a 70 ans Boulevard Saint-Michel. L' enseigne spécialisée dans l'occasion et le livre scolaire vient de fermer : "Un symbole de la plateformisation du commerce" selon Libération..
La devanture de Gibert Jeune, il y a 70 ans Boulevard Saint-Michel. L' enseigne spécialisée dans l'occasion et le livre scolaire vient de fermer : "Un symbole de la plateformisation du commerce" selon Libération.. ©AFP
La devanture de Gibert Jeune, il y a 70 ans Boulevard Saint-Michel. L' enseigne spécialisée dans l'occasion et le livre scolaire vient de fermer : "Un symbole de la plateformisation du commerce" selon Libération.. ©AFP
La devanture de Gibert Jeune, il y a 70 ans Boulevard Saint-Michel. L' enseigne spécialisée dans l'occasion et le livre scolaire vient de fermer : "Un symbole de la plateformisation du commerce" selon Libération.. ©AFP
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Vote du Sénat hier pour renforcer les librairies indépendantes face aux plateformes : 40 ans après la Loi sur le prix unique du Livre, le texte veut répliquer l’idée pour le marché numérique. Est-ce le bon rempart ?

Un prix unique avec des frais d’envoi minimum fixes, pour lutter contre les « distorsions de concurrence » des plateformes explique la rapporteure Laure Darcos : ce texte était attendu car depuis des années le Syndicat de la Librairie Française (SLF) accuse Amazon et les plateformes de contourner la Loi avec la quasi-gratuité des frais de distribution. 

Dilemme « inextricable » pour les librairies indépendantes qui représentent 45 % du marché : avec 6,5 € de frais moyens contre la livraison à 1 ct pr Amazon, ils ont le choix entre répercuter et perdre le client, ou ne pas le faire et vendre à perte : « un frein au dévt des sites internet » dénonçait sur France Info la présidente du SLF Anne Martelle, mais aussi un dumping ciblé car seul le livre fait l’objet de ce traitement de faveur chez Amazon : « volonté délibérée d’attaquer les libraires indépendants ». Cette loi y mettrait fin :  

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Un « beau symbole » selon Roselyne Bachelot, dans le contexte des 40 ans de la Loi Lang, le texte qui institue un prix unique du livre, n'autorisant qu'un rabais maximum de 5 %  ; celui voté mardi au Sénat fixant un prix minimum se veut un peu sa réplique à l’heure d’internet et de la distribution à domicile.  

Un prix-plancher pour neutraliser la guerre des frais d'envoi

La bataille du SLF contre les pratiques commerciales d’Amazon remonte à 2008, et cette année-là les libraires avaient essuyé un camouflet des juges, perdant contre le distributeur sur la gratuité des frais de port : cette loi en est un peu la revanche. 

Le texte fait consensus, tel sénateur défendant avec panache, qui « le patrimoine culturel de la France », qui « un modèle de société » ; mais derrière le lyrisme de circonstances, l’instauration d’un prix-plancher pour les frais d’envoi – un prix minimum à payer même pour les plateformes – ne va pas de soi : la sénatrice Martine Bhertet de la Commission des Affaires Economiques dénonce une mesure qui conduirait à « une hausse drastique du prix du livre sans pour autant que les librairies ne gagnent de clients supplémentaires. » 

A l’inverse, Laure Darcos rejette l’image d’un Amazon « défenseur de la ruralité » et rétorque que « son marché principal se trouve dans les grandes agglomérations, auprès des catégories socio-professionnelles les plus favorisées, parfaitement capable d’absorber une augmentation des tarifs de livraison. » 

Est-ce utile de cibler Amazon ? 

Sur le plan de la régulation, le prix-plancher ôte une partie de ses armes à Amazon : « 4, 5 ou 3 €, ça rétablirait l’équilibre » annonçait Anne Martelle du SLF. Le gouvernement avait d’ailleurs accordé un remboursement temporaire des frais de port en novembre, rappelle Télérama et un libraire parisien affirme que l’expérience a « tout de suite décuplé le nombre de commandes, et même plus ». Cependant la loi n’aura peut-être pas cet effet :

Car, si Amazon a littéralement construit son empire sur du papier à partir de 1995, il ne pèse pas si lourd dans le paysage français : le vendeur en ligne est certes très compétitif (plus de 50 % des ventes en lignes) mais pas dominant, il tient un peu plus de 10 % du marché estime BFM TV : l’avantage du livre « catégorie historique », c’est surtout qu’il est « un produit standard de petite taille et qui n’a pas besoin d’explication ». 

Exemple funeste : la Loi Filippetti de 2014 qui interdit de cumuler la gratuité des frais de port et rabais de 5 %, dite « anti-Amazon », s’est avérée peu efficace voire contre-productive : interrogé en 2019 par Les Echos, un éditeur considère que « le texte a surtout permis à Amazon de se mettre 5% de marge supplémentaire dans la poche. » 

La grande distribution principal danger pour les librairies indépendantes ?  

Ce sont les chaînes, espaces culturels E. Leclerc, Cultura et Fnac qui représentent 45 % des ventes contre 25 % en 1994 – juste avant l'apparition Amazon, explique dans Slate le consultant Franck Gintrand, qui dénonce « l’obsession » d’Amazon entretenue par le SLF : « solution de facilité », face à la « conquête en toute tranquillité » du marché du livre par la grande distribution, en région et en périphérie des villes. 

D’ailleurs, déjà lors de la Loi Lang en 1980, le combat avait été féroce, le fondateur de la FNAC André Essel la qualifiant de « type communiste ou fasciste » relate Libération : « Jack contre Fnac », « prix Leclerc » contre « prix Lang »… 

En concentrant ses effort sur la « pieuvre Amazon », le SLF fait preuve d’une « haine aussi irrationnelle qu'aveuglante » conclut Franck Gintrand ; et la fin de la gratuité des frais de port va « accoucher d’une souris »… Jugement pessimiste ? Dans Les Echos en 2019, l’écrivain Philippe Claudel l’affirmait, « le vrai problème, c'est que les gens lisent de moins en moins, et ça, ce n'est pas la faute d'Amazon ! » La sur-fréquentation des librairies pendant les confinements lui a temporairement donné tort.

XM

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