Que veut dire le féminisme économique ?

L'économiste Joan Robinson, élève et critique de Keynes, pressentie pour le prix Nobel en 1975, finalement nommée professeure à 62 ans en remplacement de son mari
L'économiste Joan Robinson, élève et critique de Keynes, pressentie pour le prix Nobel en 1975, finalement nommée professeure à 62 ans en remplacement de son mari - Wikimedia Commons
L'économiste Joan Robinson, élève et critique de Keynes, pressentie pour le prix Nobel en 1975, finalement nommée professeure à 62 ans en remplacement de son mari - Wikimedia Commons
L'économiste Joan Robinson, élève et critique de Keynes, pressentie pour le prix Nobel en 1975, finalement nommée professeure à 62 ans en remplacement de son mari - Wikimedia Commons
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Depuis mardi, les entreprises espagnoles sont obligées de publier leurs écarts de salaire entre femmes et hommes. Si la féminisation de l’économie progresse en Europe, certains promeuvent aussi une économie plus militante : l’heure du féminisme économique ?

C’est d’abord un certain volontarisme politique que l'on observe en Europe ces dernières années en Europe. La Ministre du Travail espagnole Yolanda Diaz parlait hier d’ « un moment historique » : 

« A partir d’aujourd’hui, dans notre pays et dans nos entreprises, l’époque où un homme et une femme pouvaient légalement percevoir des salaires différents est terminée. Les normes qui permettaient l'inégalité, c’est fini ! »     

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Ton solennel : l’Espagne vient de rejoindre la course à la régulation européenne. Depuis 2018, l’Islande, la France et l’Allemagne ont imposé transparence et parité des salaires dans les grandes et moyennes entreprises, et prévu des pénalités financières en cas d’écarts ; le Royaume-Uni avait pris les devants l’année précédente, mais en allant moins loin car aucune sanction n’était prévue. 

Une certaine hâte peut-être favorisée par le fait que la Commission prépare elle-même une directive sur le sujet pour la fin de cette année 2020, sa Présidente Ursula Von der Leyen l’avait annoncé lors de la Journée Internationale du Droit des Femmes le 8 mars dernier. 

En tous cas malgré la persistance d’une importante différence de revenu entre hommes et femmes de 15-20 % en Europe, un signal est donné aux gros employeurs.  

Une féminisation économique surtout mesurable dans les grandes entreprises ? 

C’est d’abord dans l’industrie que se déroule « la bataille des stéréotypes », titre l’Usine Nouvelle qui publiait ses 9èmes « Trophées des femmes » le mois dernier : la formation aux métiers techniques souffre toujours d’un déficit féminin, mais les grandes entreprises ont commencé à remplir les vides au plus haut niveau. 

L'intégration se fait soit à travers leurs propres programmes de formation « Nos Etoiles IndustriElles » de Renault Truck ou celui de l’Oréal « For Girls in Science » ; soit, montre le palmarès du journal, à travers la nomination aux plus hauts postes de femmes, surtout ingénieures : elles sont 13 sur 20 à avoir crevé le plafond de verre, surtout dans l’aéronautique, le ferroviaire, l’automobile ou les entreprises de la « Tech ».  

Rééquilibrage au sommet, donc ; et pour les postes intermédiaires, 42 % des cadres sont désormais des femmes montrait l’INSEE en septembre : même si là, c’est la fonction publique qui est en pointe dans le recrutement. 

Une histoire économique féminisée ? 

« L’historiographie économique des femmes commence à prendre forme », affirme Christian Chavagneux dans le dossier d’Alternatives Economiques cet été, sur les « femmes qui ont transformé l’économie » depuis le XVIè s. : 

Contre l’ingratitude de l’histoire, le journal dévoile une galerie de 20 portraits : l’économiste dans l’ombre de Keynes Joan Robinson ou la Ministre du Travail du New Deal en 1933 Frances Perkins, mais aussi une Directrice financière au XVIIIès., des commerçantes et banquières au XIXè et XVIIè, des inventrices au siècle dernier. Cependant pour le XXè s. de tels sommes « manquent encore cruellement », souligne C. Chavagneux.

De l’économie féminisée à l’économie féministe : un pas, ou un grand écart ? 

En tous cas l’économie est « l’une des sciences les moins féminisées » regrette Hélène Périvier dans son livre à paraître L’économie féministe : et ceci en partie parce que dans l’histoire, le « système fiscalo-social » a neutralisé les acteurs économiques féminins, affirme Thomas Piketty qui préface l’ouvrage. Les premières études économiques, sur la valorisation monétaire du travail domestique datent des années 80 seulement. 

Approche militante et politique dans la critique de la « superstructure » institutionnelle : pour Hélène Périvier comme T. Piketty, économie féministe et renouveau économique ne font qu’un, et vont à gauche. L’économie féministe « ne peut s’accommoder d’une approche néolibérale, dont les principes de justice sous-jacents ne sont pas compatibles avec ceux du féminisme », déclare-t-elle, comme une proclamation d’indépendance d’une démarche théorique et pratique jusqu’ici considérée au mieux comme une sous-catégorie de l’économie politique. 

L'économie féministe, forcément de gauche ? Des convergences sont également possibles avec une économie plus classique, nuance Hélène Périvier, qui s'intéresse à la mixité pour des raisons de productivité et de fiscalité. La cible à abattre reste : « le modèle de M Gagnepain et de Mme Gagnemiettes ». Alors l’égalité des sexes, peut-elle s’insérer dans la dure « science » économique ?  

XM