Réguler les GAFA : quelle est l'équation ?

A Londres, le 17 décembre. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni cherche aussi à renforcer sa législation face aux GAFA et a annoncé des restrictions et des amendes contre les entreprises à "pouvoir de marché solidement établi".
A Londres, le 17 décembre. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni cherche aussi à renforcer sa législation face aux GAFA et a annoncé des restrictions et des amendes contre les entreprises à "pouvoir de marché solidement établi".  ©AFP - Justin Tallis
A Londres, le 17 décembre. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni cherche aussi à renforcer sa législation face aux GAFA et a annoncé des restrictions et des amendes contre les entreprises à "pouvoir de marché solidement établi". ©AFP - Justin Tallis
A Londres, le 17 décembre. Malgré le Brexit, le Royaume-Uni cherche aussi à renforcer sa législation face aux GAFA et a annoncé des restrictions et des amendes contre les entreprises à "pouvoir de marché solidement établi". ©AFP - Justin Tallis
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Premier dilemme pour l’économie politique en cette fin 2020 : la régulation des GAFA. Les grands Etats du monde entier ont lancé l'offensive ; mais peut-on dompter de tels géants sans les étouffer ?

A défaut de les domestiquer, cette année tous les grands Etats ont bien décidé de « couper les ailes des GAFA » note Philippe Escande dans le monde. Après les enquêtes antitrust américaines et les projets de régulation européens, c’est la Chine qui a rejoint l’offensive la semaine dernière avec une enquête pour « suspicion de pratiques monopolistiques » contre son propre champion du numérique et géant mondial du commerce en ligne Alibaba. 

Pékin vient renforcer un « consensus international inédit » poursuit Philippe Escande et, en cette fin d’année 2020, « le vent a tourné » renchérit pour l’AFP l’économiste Joëlle Toledano, l’auteure de Gafa : reprenons le pouvoir! Jamais autant influents et jamais aussi fortement contestés, ceux qui pouvaient passer pour de fidèles champions nationaux il y a dix ans encore sont désormais perçus comme des dragons lâchés hors de l’arène. 

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Le « dilemme social » du marché des données 

Le premier dilemme est social : un marché fondé sur l’adhésion libre et gratuite des usagers, qui en deviennent les producteurs de données captifs, voire manipulés. Dans Le Monde, Lucas Minisimi décrit en détails cette « trahison des GAFA », ou comment des cool kids et des nerds voulant le « bien de l’humanité » sont devenus les pionniers d’un « capitalisme de surveillance », selon la thèse à succès de l’économiste Shoshanna Zuboff – d’ailleurs star du documentaire The Social Dilemma actuellement sur… Netflix. 

Sans aller jusqu’aux risques de suicide ou de guerre civile du film, l’enjeu politique préoccupe aussi les Etats : c’est le sens d’une partie de la nouvelle régulation européenne, le Digital Services Act (DSA) qui doit limiter les contenus haineux, les fausses nouvelles ou l’utilisation des données sans consentement : « tout ce qui est interdit dans l’espace public le sera aussi sur internet » déclarait le Commissaire UE Thierry Breton sur France Inter… 

Contrôler les pratiques concurrentielles et adapter le droit 

Outre l'utilisation des données, c’est le modèle de croissance  qui inquiète et irrite les autorités : les accords discrets ou forcés avec la concurrence, ou acquisitions opaques.  

Or ce mode de fonctionnement est quasi systématique pour certains : rien que Facebook depuis 2004 a racheté 65 sociétés concurrentes, soulignent ainsi les universitaires belges Charles Cuvelier et Jacques Quisquater dans Le Monde, résumant la stratégie du réseau social en quelques mots : « Acquérir, copier ou tuer les concurrents », autrement dit, la recette du monopole. 

Pour limiter cette voracité, chacun tente d’adapter ses règles de concurrence : procédures juridiques élargies aux Etats-Unis, amendes et interdiction autoritaires en Chine, estime Philippe Escande, ou tentatives de législation européennes. 

Brider les plateformes : un risque pour l’activité numérique globale ?     

Un des buts des autorités à la concurrence est de garantir une certaine « atomicité » - ouverture - du marché, explique Jérémy Ghez dans The Conversation ; mais intervenir directement sur les plateformes, c’est biaiser le marché. 

Pour les législateurs, il faut sortir de l’alternative de la hache ou du scalpel, de la menace du démantèlement pur et simple ou des « amendes salées » mais qui ont toujours un coup de retard sur l’atteinte à la concurrence : c’est le nouveau dilemme économique, selon le Wall Street Journal : « too complex to break up is the new too big too fail », trop complexe pour démanteler, voici le nouveau "trop gros pour chuter". 

De là trois dilemmes résume Jérémy Ghez : un arsenal juridique classique obsolète face à la nature de l’activité numérique, une régulation qui pourrait peser sur l’efficacité de ces entreprises, et un risque systémique pr les économies américaines et européennes qui brideraient leurs géants. Rien qu’Amazon, rappelle le WSJ , fait vivre 500 000 fournisseurs aux Etats-Unis.  

Une occasion de dynamiser le marché ? 

C’est l’ambition de la Commission Européenne, avec le Digital Market Act (DMA), qui veut ouvrir la concurrence en fixant sept obligations nouvelles sur les données ou les profits aux grands « Gatekeepers » : une dizaine de plateformes, non citées mais identifiées par des critères de taille pour mettre fin aux « zones de non droit » du marché numérique comme le dit Thierry Breton.  

Symptôme des lacunes de l’UE dans sa propre économie numérique ? se demande Jeremy Ghez, ou au contraire tentative d’organiser la concurrence des 20 prochaines années, dit le site spécialisé siecledigital.fr. Pour les chercheurs Belges C. Cuvelier et J. Quisquater, avec son DMA, la CommUE pourrait avoir pris « une longueur d’avance ».  

Aux champions incontournables, correspond donc le retour des « marchés contestables », idée née aux Etats-Unis dans les années 80, qui permet de ne pas imposer l’atomicité, mais rendre l’entrée et la sortie fluide et gratuite. Prévenir plutôt que guérir ? La Commission veut "remettre de l’ordre dans le chaos" mais Paul Valéry a prévenu : « deux dangers ne cessent de menacer le monde : l’ordre et le désordre. »

XM