Alors que l’OMS prévient que l’immunité collective mondiale ne sera pas atteinte cette année, la stratégie vaccinale du gouvernement est toujours vivement critiquée. La pénurie est-elle évitable ?
Avec une campagne plus lente au début que ses voisins, les doutes sur la stratégie française se sont multipliés ; et s’il y a une forme de « conscience malheureuse », l’introspection forcée que lui font subir les économistes et autres chercheurs n’est pas moins douloureuse.
Deux accusées : l’administration sanitaire avec 4 ou 5 organisations travaillant en parallèle, pointe dans Les Echos Pascal Perri : « défaillance » d’une « administration de contrôle » dit-il, excès de centralisme et d’externalisation des compétences écrivent dans Alternatives Economiques trois sociologues auteurs d’un ouvrage sur la « crise organisationnelle » du Covid-19. C’est le thème renouvelé et tragique de l’Etat organisateur de son incompétence et de sa faible compétitivité dans la course vaccinale.
Avec elle sur le banc : une "prudence" très - ou trop - politique, avec des décisions plus « apaisantes » que « pertinentes », se lamente toujours dans Les Echos l’ingénieur Victor Storchan, voire carrément « démagogiques » lâche Pascal Perri. Le Gouvernement qui accélère désormais a beau plaider « ne pas confondre vitesse et précipitation » et s’être félicité du seuil des 100 000 vaccinations franchies dimanche, « le rythme de croisière » n’est pas encore atteint et pour Pascal Perri il se condamne comme les fous d'Einstein à « faire toujours la même chose en espérant un résultat différent !».
Gestion hasardeuse ?
Certains épisodes ont cristallisé les soupçons : d’abord le recours à 4 cabinets de conseil, dont McKinsey qui aurait touché 100 M €, précise Libération : simple effet d’une « mode managériale contemporaine » valorisant les petits groupes et des décision « agiles » comme le regrettent nos trois sociologues ? ou véritable « conversion culturelle, sinon économique […] à la culture de la gestion abstraite à distance » qui serait devenue la « marque de fabrique du macronisme » ?, affirme Luc Rouban du Cevipof.
Quoi qu'il en soit, cette « externalisation de l’expertise » renforce la méfiance, même si le gouvernement invoque son besoin d’appui pour mener de grands projets : résultat d’une série de dénis, diagnostique le jeune économiste au MIT Antoine Lévy dans le Figaro Vox, s’indignant de ce que la France soit le seul membre du CS Sécu ONU à n’avoir pas développé son propre vaccin – puisque Sanofi ne le prévoit qu’à la fin de l’année – et de ce que la crise révèle son «incompétence administrative, technique, industrielle, scientifique…» Bref, plus que l’introspection, ce serait la psychose : « l’inconscient à ciel ouvert ».
Une logistique parcimonieuse ?
C'est une « gestion minutieuse », assure le site Stratégielogistique.com : depuis l’usine Pfizer/BioNTech de Puurs en Belgique jusqu’aux 6 plateformes, puis à la centaine d’établissements de santé, mais aussi Ehpad et hôpitaux, tout en mainternant une chaîne du froid allant des colis isothermes avec « carboglace » et GPS intégré, jusqu’aux super-congélateurs en France : c'est le sorbet le plus cher au monde, la logistique en représente jusqu’à 80 % des coûts selon l’Imperial College de Londres.
La stratégie du gouvernement est cependant criblée de soupçons, entre les rumeurs issues de Matignon sur une perte de doses et les doutes sur le nombre réellement disponible des 113 super-congélateurs pour le vaccin Pfizer/BioNTech ou celui de doses commandées et livrées : les 50 000 premiers vaccins de Moderna, 2ème validé vendredi n’arrivent que cette semaine.
Impréparation et « débuts chaotiques », déplore dans Le JDD, le député écologiste et ancien professionnel François Michel Lambert, admiratif des campagnes en Allemagne et Israël – véritable spartiate de la logistique à « 0 stock », où la « culture de la rareté » conduit à la « performance », alors qu’au contraire – on en parlait ici – la France est en plein déclassement logistique ; cependant tempère Les Echos, avec le 3ème vaccin Astrazeneca, Paris devrait éviter le risque de pénurie : c’est la résistible ascension de la pénurie.
Difficultés pour de nouvelles commandes ?
Paris ne décide pas seule puisque ces doses sont pré-achetées collectivement à 6 laboratoires par la Commission Européenne et que les Etats passent commande selon des quotas proportionnels à leur population, 15 % pr la France : ce « panier » de vaccins sécurisant permet à l’UE d’obtenir un meilleur prix de gros explique Dominique Seux des Echos, mais il peut aussi la coincer avec des commandes de vaccins pas encore prêts ou validé, comme celui de Sanofi ou de l’américain Curevac.
En outre l’approvisionnement n’est pas garanti : les Pfizer/BioNtech et Moderna les plus efficaces, y compris contre le variant anglais, sont les plus demandés mondialement ; et certains Etats UE pourraient vouloir faire cavalier seul : une partie de la presse allemande soupçonnait la France d’avoir favorisé Sanofi quand Berlin elle-même est accusée d’avoir passé ses propres accords avec deux laboratoires pr quelques dizaines de millions de doses supplémentaires. La Commission a démenti tout favoritisme mais a aussi appelé à cesser les « contrats parallèles ».
Incompétence ou dépendance ?
L’Elysée qui appelait vendredi à renforcer la coordination pour « les commandes de vaccins et les sites de production en Europe » n’est pas isolé : la Commission Européenne vient de renforcer son programme d’achat des vaccins Pfizer/BioNTech pour monter à 600 millions de doses et l’entreprise va construire une deuxième usine en Allemagne.
Par ailleurs, le gouvernement peut encore intensifier la campagne de vaccination en étendant les publics-cible comme à Nancy dès demain, voire en l’imposant préconise Antoine Levy, quitte à couper les prestations sociales à ceux qui la refusent si un quota de X % de personnes vaccinées n’est pas atteint à telle date… Vous frissonnez ? Prenez l’appel aux Lumières de Victor Storchan pour réhabiliter l’expertise et l’objectivité, dans l’esprit des premières « vaccines » contre la variole en 1774 : époque heureuse où « la moyenne statistique triompha de la norme juridique, et l'Etat, éclairé par la science, adopta une stratégie ciblée ». Signe clinique encourageant : Louis XVI en avait bénéficié.
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