Veolia - Suez : la guerre juridique touche les experts

De Veolia qui en possède 30 %, ou de Suez qui a bloqué ses droits, la bataille est désormais juridique. Certains experts y prennent-ils part, ou en sont-ils les victimes collatérales ?
De Veolia qui en possède 30 %, ou de Suez qui a bloqué ses droits, la bataille est désormais juridique. Certains experts y prennent-ils part, ou en sont-ils les victimes collatérales ? ©AFP - ERIC PIERMONT / KENZO TRIBOUILLARD
De Veolia qui en possède 30 %, ou de Suez qui a bloqué ses droits, la bataille est désormais juridique. Certains experts y prennent-ils part, ou en sont-ils les victimes collatérales ? ©AFP - ERIC PIERMONT / KENZO TRIBOUILLARD
De Veolia qui en possède 30 %, ou de Suez qui a bloqué ses droits, la bataille est désormais juridique. Certains experts y prennent-ils part, ou en sont-ils les victimes collatérales ? ©AFP - ERIC PIERMONT / KENZO TRIBOUILLARD
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La fusion entre Veolia et Suez déborde le cadre industriel. Veolia est accusée de vouloir faire taire des économistes et chercheurs ; mais l’entreprise s’en défend : une nouvelle affaire de "procédure-baîllon" ?

Une lettre d’huissier reçue en mains-propres à son domicile pour l’économiste Elie Cohen et une vingtaine d’autres, envoyées à des commentateurs économiques, juristes et directeurs de Think Tank ou agences : c’est l’image qui interroge, voire indigne une partie de la presse depuis quelques jours. 

Dans ce courrier, le leader mondial de l’eau somme ces experts d’expliciter sous 48 h leurs liens avec Suez ou ses filiales : en clair de dire s’ils étaient payés par une agence de communication ou directement par Suez pour écrire leurs tribunes. 

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« Pression », « sommation », ou « intimidation » affirme Elie Cohen soutenu par la rédaction de Telos, mais aussi la Société des Journalistes de l’Usine Nouvelle, qui se plaint officiellement que l’un de ses interlocuteurs - le juriste Julien Icard - ait reçu sa sommation.  

Toujours est-il qu’après le débat sur l’opportunité industrielle du rachat de Suez par Veolia et la création d’un champion de l’environnement, voici le débat sur le débat lui-même. 

Un premier round inhabituellement tendu ? 

L’offre d’OPA de Veolia présentée comme « amicale » s’est vite transformé en bourbier juridique et bataille d’influence, alors que l’opération semblait avoir été préparée avec l’aval du gouvernement, Veolia forçant l’offensive, Suez bloquant des quatre fers. 

Et les échanges entre PDG respectifs étaient déjà un modèle de tension, celui de Suez qualifiant l’offre de Veolia « d’aberrante », celui de Veolia dénonçant une manœuvre « pitoyable » de son rival ; la suite du dialogue continue en justice, Veolia pour l’instant bloquée avec 30 % des parts de Suez mais sans droit de vote au Conseil d’Administration. 

Fin novembre, c’est Suez qui envoyait des huissiers chez Veolia, estimant « opaque » la préparation de l’OPA et la soupçonnant d’une entente avec ses autres revendeurs et acheteurs, Engie et Meridiam : l’ « Opération Sonate », révélée par la presse, a donc dégénéré en Opération pogo… 

Une « guerre sale » et des colonnes de chercheurs payés en sous-main ? 

C’est ce que  soutient l’entreprise - contactée ainsi que d’autres parties prenantes. Pour la direction de Veolia, tout est lié à une accumulation de tribunes défavorables, « une quarantaine ou cinquantaine », dans les mêmes médias, L’Opinion, la Tribune, les Echos, signées des mêmes personnes ou même institutions, et appuyées sur les même arguments identifiés comme les « éléments de langage de Suez » : particulièrement le risque de « monopole », même si Suez ne l’a pas évoqué nommément, ou les risques de suppression d’emplois.  

Veolia revendique un faisceau d’indices, mais aussi des preuves formelles : des «liens étroits», personnels ou financiers entre plusieurs analystes et Suez, qui aurait embauché 6 cabinets de lobbying. Parmi eux le juriste Bruno Alomar, ancien de la Commission à la Concurrence et directeur d’un nouveau cabinet de Conseil créé en septembre qui parlait d’une « impossible fusion », ou l’économiste Olivier Babeau, fondateur de l’Institut Sapiens qui appelait dans Les Echos à « modérer son enthousiasme ». 

Ceux que j’ai pu joindre ont beau démentir, « on n’a pas tapé à côté » insistait Veolia hier, qui poursuit son procès en connivence et partialité.  

Des « procédures-baîllons » de la part de Veolia ? 

« Stade ultime de l’intimidation judiciaire », écrivait déjà en 2017 la journaliste de Telerama Weronika Zarachowicz, ces procédures inventées par les grands groupes aux Etats-Unis dans les années 80 ont d’abord visé les associations et ONG, et elles se sont récemment étendues aux chercheurs et universitaires…   

De véritables guerres juridiques, les détracteurs de la fusion en seraient les nouvelles cibles, affirme le juriste de Paris II Denis Mazeaud, qui encourage ses collègues à continuer leur expertise en citant l’adage de Cyrano : « c’est inutile, je le sais / Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ». Plus encore, pour Martine Orange dans Mediapart, l’attitude de Veolia serait le symbole d’une « dérive » liberticide et anti-académique déjà insufflée par les autorités dans la LPPR. 

De son côté, Veolia dément : le groupe n’a pas attaqué en diffamation mais sommé les commentateurs de dire « d’où ils parlent », autrement dit : le but n’est pas d’étouffer le débat, mais faire sortir les usurpateurs du bois.  

Une opposition à la fusion spécialement farouche ?   

On l’évoquait ici en octobre : « rarement la perspective d’une fusion avait autant excité les experts, universitaires et éditorialistes et généré une telle hostilité au sein de la presse hexagonale », écrit la revue Confluences, qui note cependant aussi que les analyses ont été très diverses dans leurs arguments et positionnement, allant d’économistes « très libéraux » à la France Insoumise, en passant par les Républicains,  des professeurs d’universités et même des acteurs économiques proches de Suez qui eux ne s’en cachent pas…  

Difficile dans ce contexte d'avoir du flair. Cyrano avait prévenu : « Si j’avais un tel nez, il faudrait sur le champ que je me l’amputasse ». 

XM

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