Cela ne vous aura pas échappé, cette semaine est marquée par la commémoration du début de la Seconde Guerre mondiale, le 1er septembre 1939. A cette occasion, la télévision diffuse pléthore de documentaires sur le sujet. Anaïs Kien s'attache à l'un d'entre eux : Drôle de guerre de Cédric Gruat.
Diffusé sur Arte, Drôle de guerre de Cédric Gruat revient sur les huit mois qui ont précédé la défaite française. Le projet reste classique dans la liste des commandes des chaînes publiques en prévision d’un grand anniversaire ou d’une grande célébration. Mais d’emblée, le doute sur la méthode est énoncée. Comment faire pour ne pas aligner des faits plus ou moins bien connus et ordonnés dans une litanie tiède sur la Seconde guerre mondiale ? Comment porter son regard sur ces mois où rien n’était joué ? Ou les acteurs ne connaissaient pas la suite de l’histoire comme c’est notre cas aujourd’hui, spectateurs de 2019. La question est d’emblée posée :
Cette histoire, il faudrait pouvoir la raconter sans en connaître déjà l’issue pour ne pas biaiser notre regard et restituer au passé l'incertitude de l'avenir. Se mettre simplement à la place de celles et ceux qui ont vécu cette période, au jour le jour. Extrait de "Drôle de Guerre" de Cédric Gruat
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Le choix de ne pas se placer depuis l’histoire connue était en l’occurrence un petit défi puisque si ces mois sont nommés "Drôle de guerre", c’est qu’on s’y ennuie ferme : ils sont en quelque sorte le bore-out absolu d’une nation sous les drapeaux, qui ne combat pas, et qui ne sait rien ! Les informations sont toutes tournées vers les buts de guerre et, comme on le sait, pendant les guerres on entretient la flamme patriote et l’on se présente toujours victorieux pour maintenir le moral des troupes, quitte à s’arranger avec la vérité. Mais comment se montrer victorieux lorsqu’on ne combat pas ? C’est un état de guerre sans la violence physique mais avec celle de l’état de guerre pourtant, qui sépare les familles, contraint à l’uniforme, et ici à l’oisiveté imposée.
Cédric Gruat a choisi de montrer des images amateures et d’y mêler les témoignages des contemporains à son commentaire, un commentaire bien senti et qui sait se taire pour nous laisser voir ces images, pratique certes inhabituelle mais louable.
Quand la guerre n'était encore qu'un "éparpillement vague d’emmerdements"...
Parmi ces témoignages pour la plupart anonymes, on en reconnaîtra quand même quelques-uns. Celui - inévitable - du général de Gaulle, en charge d’une flotte de chars d’assaut qui trépigne face à une situation que le confine à la mission d’un gardien de parking ! Mais, c’est à Simone de Beauvoir que revient la Palme du sens de la formule :
Que signifie au juste ce mot : guerre ? Il y a un mois, quand ça a été imprimé en grosses lettres sur les journaux, c'était une horreur informe, c'était une tension sur toute la personne, c'était confus, mais plein. Maintenant, c'est un éparpillement vague d’emmerdements. Je suis détendue et vague, j'attends je ne sais quoi. On dirait que tout le monde attend. Simone de Beauvoir
Cet "éparpillement vague d’emmerdements" est peut-être la grande réussite de ce documentaire : nous montrer comment l’événement se construit par jeux de hasard, d’hésitations et de prise de décisions de circonstance.
Et pour terminer, regardez ce film parce qu’il est beau ! Pas de colorisation approximative qui uniformise toujours un peu les images et en efface les singularités mais un travail de qualité sur le noir et blanc qui restitue leur profondeur, la texture de l’archive. Certaines sont colorisées a priori parce qu’elles l’étaient à l’origine : là encore une fidélité à l’identité de l’image qui ne demande pas de maquillage pour être pleinement appréciée. On comprend ici toute l’étrangeté de cette "d_rôle de guerre"_ grâce à ce documentaire qui renouvelle le regard sur ces quelques mois qu’on s’empresse toujours si vite d’oublier.
par Anaïs Kien
Pour plus d'informations : le documentaire Drôle de Guerre de Cédric Gruat, disponible sur Arte.
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