L'insulte "ACAB" a voyagé à travers le temps, d'Angleterre en Italie, jusqu'à devenir l'un des slogans de certaines manifestations en France. Quelle est la généalogie de ce terme hostile à la police ?
L’imagination mise au service de l’insulte des forces de l’ordre a toujours été foisonnante, en Grande Bretagne on préfère le terme "ACAB" aux "morts aux vaches" français. C’est Marion Dupont, dans les pages du Monde, qui retrace l’histoire de cet acronyme parfaitement adapté à une circulation exponentielle sous forme de hashtag.
Mais avant d’accéder à une telle célébrité ACAB a parcouru un long chemin jusqu’aux comptes Twitter de l’extrême gauche. ACAB ou "all cops are bastards", "Tous les flics sont des bâtards", est le fruit d’une "longue tradition de détestation de la police" qui pourrait commencer au XIXe siècle. Difficile de dater les expressions populaires, qui ne sont pistées par aucune société d’auteurs.
En France, ce ressentiment s’exprime alors que le mouvement syndical naît sans avoir le droit d’agir avec ses outils de mobilisation désormais répertoriés : les grèves sont interdites, les manifestations aussi. On ne s’en prive pas pour autant et la répression policière s’abat régulièrement sur les protestations ouvrières avec l’avantage de la légitimité. Les militants détestent donc sans aucune cordialité les forces de l’ordre et le font savoir sur les murs, dans leurs chants et avec une imagination sans bornes pour les nommés, ces ennemis du mouvement social. "Cognes", "assommeurs", "fusilleurs", "apaches de la République", le vocabulaire de la détestation fleurit jusqu’à la surface de la peau des condamnés qui se tatouent trois points "entre le pouce et l’index" pour signifier secrètement un vœu : "Morts aux vaches".
C’est un peu plus tard qu’en Angleterre on voit apparaître le "All Cops Are Bastards" décliné par la suite par son acronyme ACAB dans l’Angleterre ouvrière de l’entre-deux-guerres. Au-delà de l’histoire de l’expression elle-même, c’est sa circulation qui intéresse Marion Dupont. Au début des années 1980, on retrouve ACAB du côté du mouvement skinhead qui enrichit à son tour ses tenues déjà très codifiées de tatouages sur les phalanges et chante sa haine de la police à l’ère de la répression des protestations sociales orchestrée par Margaret Thatcher qui entame un combat déterminé contre l’influence des syndicats britanniques.
Pourtant l’usage du slogan ACAB par les skinheads se fait moins politique qu’identitaire. C’est à l’occasion des bagarres qui ponctuent invariablement les matchs de foot du samedi soir qu’il s’épanouit dans les bouches de ceux qui s’identifient aux classes laborieuses malmenées par le tournant ultra-libéral du gouvernement.
L’insulte est ensuite récupérée par les "tifosi" du Nord de l’Italie dans les années 1990, des supporters de foot en prise avec la réglementation des stades qui tente de limiter leurs débordements traditionnels. Les bâtards de ACAB désignent désormais ceux qui gâchent la fête en rétablissant l’ordre public. Depuis les stades italiens, ACAB connaît alors une promotion mondiale par capillarité en intégrant le folklore des ultras politiques avec comme seule constante la détérioration des relations entre populations et forces de l’ordre. ACAB marque une frontière sociale et se décline aux quatre coins du monde avec son acronyme à succès et sa traduction numérique "1312", selon l’ordre des lettres de l’alphabet, un code sans secret tant il est utilisé, des manifestations d’indignation après la mort de George Floyd à Minneapolis au mouvement de protestation français contre la loi "sécurité globale".
Liens :
"ACAB" ou la rage anti-flics par Marion Dupont, Le Monde, 26/05/2021.
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