Que disent nos rêves de la façon dont nous traversons l'histoire ? Il semble que notre actualité collective s'inscrive au plus profond de nos inconscients. Différentes entreprises de collecte et d'archivage tentent d'analyser ce rapport entre psyché et histoire, du IIIe Reich à la crise de la Covid
Peut-on archiver l’inconscient en temps de crise ? C’est en tout cas la mission que s’est donné le Museum of London dans le cadre du projet Guardians of Sleep dont la collecte de rêves se termine aujourd’hui.
Longtemps considérés comme une prédiction de l’avenir sous l’Antiquité avant d’être considérés comme une relecture du passé, les rêves nous renseignent surtout sur notre manière de négocier avec le présent.
Plongée dans l’effroi du nazisme dans les années 1930, la psychanalyste Charlotte Beradt avait collecté près de 300 rêves auprès des Berlinois, chefs d’entreprise, femmes de ménage ou petits commerçants. Elle y cherchait des parentés et des schémas, au-delà de la signification individuelle. Les rêveurs partageaient des schémas d’angoisse et de désir des types et des formes de rêves. Le sondage d’un climat inconscient, une enquête aussi, pour voir si les autres partageaient sa terreur grandissante.
Mais comment lire ce matériau à distance ? L’inconscient étant déjà bien difficile à déchiffrer, l’œuvre du temps ne rend-elle pas cette tâche impossible ? Si le moment totalitaire collecté par Charlotte Beradt semble loin de nous, la démarche de se tourner vers les rêves pour comprendre ce qu’on ne comprend plus de soi dans un contexte inédit et inattendu reste. Le rêve est un moyen de connaissance, un témoignage de nos réactions face à l’irrationalité apparente qui tout à coup devient réalité.
Une moisson onirique
Une autre collecte de rêve est en cours, pilotée par l’historien Hervé Mazurel et la psychanalyste Elisabeth Serin qui veulent saisir l’opportunité de rouvrir un dialogue entre les sciences sociales et la psychanalyse. En explorant ces rêves collectés, le premier constat est flagrant : la contamination de l’espace le plus intime apparaît dès les premiers temps du confinement avec la fonction de nous aider à surmonter le changement le plus radicale ou le saut dans l’inconnu, de voir aussi quels sont les outils que nous nous proposons pour le surmonter. Une moisson onirique recueillie à l’adresse : revesdeconfins@gmail.com, qui montre pour l’instant que le bouleversement nous atteint jusque dans nos rêves, des rêves qui constitueront grâce à ces enquêtes des archives pour l’histoire collective de demain.
Liens :
Copélia Mainardi, Inconscient sous confinement, Hervé Mazurel, historien : "Il faut produire des archives du rêve", Marianne, 13/05/2020.
Jean-Michel Normand, Les songes d’une nuit de Covid-19, Le Monde, 06/04/2020.
Museum of London to collect COVID dreams, 26/11/2020.
Charlotte Beradt, Rêver sous le IIIe Reich, Payot et Rivage, 2018.
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