En Serbie le gouvernement voudrait faire lui-même les manuels d’histoire

Couteau Srbosjek, ou « Coupe-Serbe », utilisé par les Oustachis pour égorger des prisonniers , notamment dans le camp de concentration de Jasenovac. United States Holocaust Memorial Museum. Wikipédia.
Couteau Srbosjek, ou « Coupe-Serbe », utilisé par les Oustachis pour égorger des prisonniers , notamment dans le camp de concentration de Jasenovac. United States Holocaust Memorial Museum. Wikipédia.
Couteau Srbosjek, ou « Coupe-Serbe », utilisé par les Oustachis pour égorger des prisonniers , notamment dans le camp de concentration de Jasenovac. United States Holocaust Memorial Museum. Wikipédia.
Couteau Srbosjek, ou « Coupe-Serbe », utilisé par les Oustachis pour égorger des prisonniers , notamment dans le camp de concentration de Jasenovac. United States Holocaust Memorial Museum. Wikipédia.
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L'État serbe estime que c'est à lui d'écrire les manuels scolaires d'histoire. La perspective de mettre en avant une histoire guerrière et héroïque est acclamée par le Parlement tandis que des historiens se désolent de cette relecture sélective du passé.

« Ce n’est pas un gag » comme le précise Le Courrier des Balkans, Aleksandar Vulin, ministre de l’Intérieur du gouvernement serbe, a exprimé le souhait que l’Etat assume l’élaboration des manuels d’histoire avec en ligne de mire la polémique qui entoure le film Dara de Jasenovac, candidat aux Oscars pour la première participation du pays au prestigieux prix états-unien et dont je vous parlais déjà le 12 février dernier. Jasenovac était un camp d’extermination organisé par les Croates alliés de l’Allemagne nazie au cours de la Seconde guerre mondiale où une majorité de Serbes ont été assassinés aux côtés des Juifs et des Tziganes.  

Pour Aleksandar Vulin, que l’Etat décide du contenu des manuels scolaires assurerait qu’y soit mentionné Jasenovac, en ajoutant devant les députés qu’ « on ne permettra pas à des éditeurs étrangers de nous expliquer ce qui s’est passé à Srebrenica ». Passant de la Deuxième guerre mondiale aux guerres qui ont mené à l’explosion de la Yougoslavie dans les années 1990, cette déclaration met en présence deux génocides : l’un perpétré par les Oustachis croates allié du Troisième Reich entre 1941 et 1945, l’autre à Srebrenica, durant la guerre de Bosnie-Herzégovine, a été commis en 1995 par l’armée serbe de Bosnie soutenue par la Serbie elle-même. 8000 hommes et adolescents ont été abattus à Srebrenica, un massacre qualifié de génocide par la Cour pénale internationale pour l’ex-Yougoslavie. Cette volonté d’une mainmise du gouvernement serbe sur le récit historique dispensé aux enfants concerne donc à la fois un épisode où les Serbes ont été les victimes et un autre où la responsabilité de l’armée serbe de Bosnie a été sanctionnée par la justice pénale internationale avec la condamnation à perpétuité de son commandant, Ratko Mladić, pour génocide et crime contre l’humanité, en 2017. La qualification de génocide contenue dans ce verdict avait fait débat, sans parvenir à un accord entre les commentateurs, et la Russie avait opposé son véto à un projet de résolution de l’ONU sur la reconnaissance du génocide de Srebrenica. Le Parlement de Serbie a reconnu la responsabilité serbe non pas dans le « génocide » mais dans le « massacre » de Srebrenica en 2010.  

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Les lectures de l’histoire n’ont pas trouvé à s’apaiser depuis et la proposition du ministre de l’Intérieur concernant les manuels d’histoire a été accueillie sous les applaudissements par le Parlement très majoritairement favorable au gouvernement.  Le film consacré au camp de Jasenovac et les polémiques qui l’entourent ont ravivé les braises des conflits de mémoires dans les pays d’ex-Yougoslavie. Jelena Đureinović, historienne à l’Université de Vienne, interrogée par Le Courrier des Balkans, déplore le retour d’ « une politique de mémoire agressive » qui célèbre les victimes et les héros serbes de l’histoire contemporaine. Co-autrice d’une étude sur « Les guerres des années 1990 dans l’enseignement de l’histoire », elle relève que « l’image des guerres en Serbie est « sélective et de parti pris », « sans qu’aucune responsabilité ne lui soit jamais imputable pour les crimes de guerre ».  

Un après-guerre sans fin dans les Balkans où se rejouent les mêmes lectures de l’histoire qu’au moment du démembrement de la Yougoslavie et un nouvel affrontement qui se déroule cette fois sous la forme d’une guerre d’influence culturelle pour la reconnaissance des victimes de chacun, une quête impossible sans reconnaitre aussi la part des bourreaux.  

Lien :

  • Nevena Bogdanović, Serbie : le ministre de l'intérieur veut réécrire les manuels scolaires d'histoire, Le Courrier des Balkans, 01/03/2021.