Les débats au sein du Parlement britannique ont la réputation d'être souvent tapageurs. Mais depuis la victoire des partisans du Brexit lors du référendum de 2016, le niveau de violence des échanges semble être monté d'un cran. L'occasion de se pencher sur l'histoire de l'insulte en politique...
Cette semaine, nous avons tous pu profiter des empoignades spectaculaires des parlementaires anglais dans le dossier à rebondissement du Brexit, et du spectacle de leurs visages éructant. Et cela pour classer un dossier pourtant européen, c’est une prouesse ! Si cette actualité est devenue l'une des plus palpitantes du moment, le spectacle du déchaînement des passions parlementaires y est pour beaucoup.
Des assemblées transformées en "théâtre de la nation" ?
Les coups d’éclats comme la défection du député conservateur Philip Lee qui a mécaniquement fait perdre sa majorité au Premier ministre se sont accompagnés de volées d’insultes d’un côté à l’autre de la Chambre des Lords. On pourrait croire que c'est l’importance de l’enjeu qui déchaîne particulièrement les émotions politiques et délie les langues courtoises du quant à soi parlementaire britannique : on aurait raison et tort. Depuis la victoire des partisans du Brexit lors du référendum de 2016, les débats du Parlement britannique, déjà réputés tapageurs, sont devenus encore plus intenses.
Si nous regardons ces débats parlementaires houleux avec autant d'attention c'est parce qu'une part de notre histoire commune s’y est écrite. Dans un essai intitulé Noms d’oiseaux, l’insulte en politique de la Restauration à nos jours, l’historien Thomas Bouchet a engagé une recherche sur l’histoire sonore de l'Assemblée nationale pour comprendre l’usage de cette violence verbale qui s’y pratique.
A connotation scatologique, physique ou politique, les mots doux s’échangent au milieu des claquements de pupitres, des clameurs partisanes et des effets de manche. Mais ce sont nos yeux braqués sur ces débats qui conditionnent la force de l’insulte au sein même de l’assemblée. Quand ce qui pourrait n’être qu’une anecdote typique des passions politiques franchit les portes du Parlement et devient accessible à la presse et au public. Avec la loi sur la liberté de la presse de 1881, les assemblées deviennent un théâtre de la nation pour transmettre la vigueur de la défense de l’intérêt des électeurs par les élus. En 1898, en pleine affaire Dreyfus, l’emportement du comte de Berny le pousse à frapper Jean Jaurès, et une bagarre généralisée éclate au pied de la tribune. Cette brutalité habite aussi les nombreuses manifestations de rue où les coups de poing sont monnaie courante.
Quand Victor Hugo moquait la petitesse de Napoléon III
"Petit !" : toute sa vie, y compris après la mort de sa cible, Victor Hugo s'est acharné à souligner la petitesse, morale avant tout, de Napoléon III, avant et après son coup d’Etat de 1852. Pour Thomas Bouchet, l’insulte peut également servir à lier les forces en présence.
Si l’insulte est à l’époque d’abord une attaque à la morale, à la vertu patriotique, à l‘honneur de celui qui en est la cible, échanger des noms d’oiseaux peut se conclure par la mort, puisqu’après l’insulte vient le duel, devenu plus rare au XXe siècle. Difficile aujourd'hui d’imaginer qu’accuser son adversaire de mensonge ou de lâcheté vous mène en plein champ, épée au poing. On ne peut que s'en féliciter, même si cela ne marque pas pour autant la fin de la très riche histoire de l’insulte en politique...
par Anaïs Kien
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