

Pourquoi l'état d'urgence, outil pourtant légal, provoque en nous des réactions négatives ? Sans doute en raison de son histoire liée à notre passé colonial et à l'antagonisme entre une loi d'exception qui bride nos libertés et notre démocratie si attachée à les défendre.
Attentat, virus, contestation mémorielle dans le décor des villes occidentales, notre fréquentation de l’espace public devient chaque jour plus complexe et d’autant plus désirée.
Aujourd’hui l’état d’urgence sanitaire, créé en mars, a été rétabli avec un couvre-feu qui touche maintenant une majorité de la population française, et avec l’objectif de fournir les outils légaux de l’exceptionnalité dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 qui ne faiblit pas. Les dents ont grincé fort, face à l’utilisation de cet état d’urgence, un outil légal plombé par l’histoire.
L'origine coloniale de l'état d'urgence
L’état d’urgence créé en 1955 a été utilisé trois fois dans le contexte de la guerre d’Algérie, jusqu’au début des années 1960, une quatrième fois dans les années 1980 en Nouvelle Calédonie, pendant les affrontements entre partisans et opposants à l’indépendance et en 2015 au lendemain des attentats mais aussi en 2005 lors des émeutes dans les banlieues, le mouvement des Indigènes de la République n’avait alors pas manqué d’en rappeler les origines coloniales.
Ce qui saute aux yeux et à l’oreille dans la liste de ses usages, c’est la place de la guerre d’Algérie dans la matrice de l’élaboration de l’état d’urgence. Pourtant les législateurs de l’époque cherchaient des moyens d’action immédiats et conjoncturels dans ce conflit de décolonisation qui commençait mais que l’Etat refusait de reconnaitre comme une guerre, ce qu’il était pourtant bien. L’état d’urgence est alors élaboré pour faire la guerre sans avoir à la déclarer juridiquement. C’est une loi de circonstance qui n’avoue pas sa cible, l’Algérie n’y est jamais mentionnée. Il y est question de « péril imminent » ou de « calamité publique », et toujours de défense de la République.
C’est malgré tout un échec de cette communication gouvernementale puisque dans les discussions qui accompagnaient alors l’activation de l’état d’urgence et la situation en Algérie, on parle de « guerre », partout et tout le temps, terme pourtant toujours proscrit dans ce dossier algérien qui ne se refermera plus.
République versus restriction des libertés
Ce qui est disponible dans l’imaginaire historique des acteurs en 1955, c’est la menace sur la République incarnée par le régime de Vichy, pas si lointain, et les lois contre la multiplication des attentats anarchistes en 1894, au début de la IIIe République. Le vote de ces lois baptisées « lois scélérates » par Jean Jaurès, avaient nourri un débat virulent sur la nature même de la jeune république française. Sans être si éloigné de la majorité gouvernementale, on souligne alors les effets pervers de ces lois d’exception qui ont pour principal effet de terroriser les populations et d’instaurer la peur.
A regarder de plus près l’histoire de ces lois de restrictions des libertés, difficile de ne pas constater que depuis l’instauration durable de la république en France, l’attachement aux libertés publiques s’est fréquemment accompagné de la promulgation de lois d’exception au nom de la défense de cette même république y compris par des moyens peu républicains. Une tension qui n’a pas fini de nourrir le débat démocratique.
lien :
Sylvie Thénault, L'état d'urgence (1955-2005). De l'Algérie coloniale à la France contemporaine : destin d'une loi, Dans Le Mouvement Social, 2007/1, (n° 218)
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