

Comment la loi de séparation des églises et de l'État fut-elle appliquée dans l’empire colonial ? La lecture de cette spécificité, et de ces contradictions, plus de 100 ans après sa déclaration, donne un éclairage à des questions bien contemporaines.
En janvier 1897, le premier député musulman fait son entrée à l’Assemblée Nationale. Élu de Pontarlier, Philippe Grenier, né catholique et converti en Algérie, fait sensation avec son burnous blanc qui tranche sur la foule des redingotes coutumières du lieu. On se moque, on le caricature copieusement jusqu’au char du carnaval de la Mi-Carême qui le représente en majesté sur un char entouré de jeunes femmes attifées à l’orientale, de cet Orient que l’on connait si mal malgré son intégration forcée dans l’empire colonial.
Philippe Grenier, élu député en 1897, s'est converti à l'islam
La France est alors en prise avec la fondation de son régime républicain unificateur et avec l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus tandis que la querelle sur la séparation de l’Église et de l’État connait une accalmie temporaire après de vives altercations entre partisans d’une France laïque et conservateurs catholiques. Philippe Grenier va s’attirer les foudres de ses électeurs de Pontarlier, berceau de l’absinthe, en défendant une taxe sur l’alcool pour financer une réforme de l’armée pour renforcer la défense nationale face à l’Allemagne, un projet qui signe la fin de sa carrière politique. Ce député marginal, représenté nu dans une baignoire au milieu de la chambre des députés pour ses ablutions rituelles en couverture du Petit Journal est à l’époque considéré comme un épisode chamarré du folklore parlementaire.
L'islam, l'empire colonial et la loi de 1905
L’islam est pourtant une des principales religions présentent dans le pré carré français depuis le XIXe siècle comme le rappelle Raberh Achi dans ses travaux sur la laïcité appliquée à l’empire colonial. Car les croyants musulmans sont bien là mais majoritairement dans les colonies. Lorsqu’advient finalement la loi de séparation de l’Église et de l’État en 1905, son application dans les territoires de confession musulmane fait éclater les contradictions coloniales et républicaines. Si le principe républicain réclame l’application universelle de la laïcisation de la société à l’ensemble des territoires sous domination française, c’est-à-dire la liberté de conscience, le libre exercice du culte et la neutralité de l’État, pour garder le contrôle sur les pratiques religieuses indigènes et préserver la domination coloniale, des adaptations locales sont inventées en Algérie : le financement des religions aussi bien musulmanes que catholiques s’y poursuit et crée un « islam officiel » contre les confréries religieuses reléguées à la marge jusqu’à l’indépendance en 1962. C’est dans ces zones d’exclusion de la religion autorisée que sont nés dans les années 1930 les discours de contestation et paradoxalement la revendication de la séparation de l’Église et de l’État dans les colonies contre l’interventionnisme de l’État dans la sphère religieuse. Une velléité interventionniste qui pourrait se répéter sur le territoire français aujourd’hui dans les discussions de projet de loi sur le séparatisme, et une loi de 1905 qui peine toujours à s’appliquer à la religion musulmane qu’elle touche pourtant depuis sa rédaction, il y a aujourd’hui plus d’un siècle.
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