La révolution du tourisme et le voyage immobile

 Piscine extérieure Pankow, Berlin, été 1970.
 Piscine extérieure Pankow, Berlin, été 1970. -  Deutsches Bundesarchiv
Piscine extérieure Pankow, Berlin, été 1970. - Deutsches Bundesarchiv
Piscine extérieure Pankow, Berlin, été 1970. - Deutsches Bundesarchiv
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A l'heure de la Covid19, des calculs d'empreinte carbone et du dérèglement climatique, le tourisme est-il toujours d'actualité ? Doit-il pour survivre se réinventer ?

À tous ceux qui font des rêves d’aéroport, Le Monde nous signale que, prenant acte de la restriction drastique des voyages inutiles, la compagnie aérienne australienne Qantas propose des billets d’avion sans destination ou plutôt avec une destination identique à l’aller et au retour, un tour en avion au sens propre : vous partez de Sidney et quelques heures plus tard vous atterrissez, toujours à Sidney, pour retrouver le précieux sentiment de voyager, même sur place. Avec la pandémie de Covid19, l’historien Sylvain Venayre observe à juste titre, dans le magazine L’Histoire, que le monde semble s’être immobilisé, à croire que l’on aurait été rattrapé par le col pour revenir au temps où le tourisme n’existait pas encore.   Alors qu’on inventait le voyage d’agrément au XIXe siècle, ce ne sont pas les maladies exotiques qui effrayaient mais plutôt les accidents ferroviaires, les explosions de chaudières à vapeur et les traversées de tunnels précaires.

Dès le XVIIe siècle, le voyage est devenu vital, surtout pour ceux qui pouvaient se le permettre, et qui souffraient d’une fâcheuse maladie dont on ne s’est pas du tout débarrassé depuis : l’ennui. Le spectacle du monde offrait le seul remède connu à la mélancolie. Une prescription onéreuse, parfois périlleuse, et pas du tout remboursée. Le voyage c’était la santé, se mouvoir sur la planète offrait la garantie d’un corps sain, édifié grâce aux épreuves du simple déplacement avant les autoroutes et les TGV, et, deux siècles plus tard, même pour ceux qui ne disposaient que de leur dimanche pour leurs loisirs. Parce que le grand ennemi sanitaire c’était l’environnement quotidien, l’air vicié des villes et l’entassement des citadins. Bref il fallait changer d’air, et pas seulement parce que Pasteur venait de découvrir que l’altitude tuait les microbes. Rapidement la nécessité se fit plaisir, même à l’occasion d’un pèlerinage, on pouvait se permettre quelques visites de sites remarquables, l’Église elle-même le concédait. 

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Avec sa démocratisation progressive, l’explosion du tourisme chiffonne cependant quelques esprits chagrins : les foules venaient polluer la vue et les élites sociales regrettaient le temps pionnier ou il n’y avait qu’elles dans ce paysage désormais embouteillé, les vacances étaient gâchées. Le voyage c’était bien, mais sans le peuple. À partir de 1907, le Touring Club de France met en garde contre ce « vandalisme ». On invente alors les parcs naturels, pour conserver cette nature en péril sous le piétinement des badauds insouciants et le camping de loisir, pas du tout par soucis d’économie, mais pour chercher la tranquillité loin des foules. Toujours le flair et l’esprit pionnier de ceux qui voulaient avoir l’impression d’être les premiers, voir les seuls, en toute chose. Vous l’aurez compris ce discours n’a pas changé depuis et s’est même renforcé avec le développement du tourisme de masse au 20è siècle.    À dos de chameau, en avion ou en voiture, les voyages, et surtout les mauvais voyageurs, 25 millions en 1950, 1,5 milliard en 2019, détruisent la planète par leur enthousiasme touristique. C’est alors que vînt la solution, perfide mais efficace : la honte. Avec l’invention du flygskam, « la honte de l’avion », apparu en Suède en 2018, les voyageurs sont désormais sommés de cesser de zébrer le ciel de leur empreinte carbonée. Une honte de l’avion qui s’accommode assez mal des vols sans destination proposés en Australie.

Reste à inventer le voyage du monde d’après, qui se fait attendre, un voyage ou la lutte des classes ferait relâche, histoire de faire des vacances à tout le monde et pas seulement à ceux qui en ont les moyens.

https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2020/09/22/population-en-manque-de-voyage-et-secteur-aerien-en-crise-bienvenue-a-bord-des-vols-direction-nulle-part_6053207_4832693.html#xtor=AL-32280270

Rediffusion de la chronique du 24/09/2020

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