

Dans le prolongement des déboulonnages des statues des personnalités ayant participé au commerce des esclaves, celle d'Edward Colson (1636 - 1731) a été la cible de manifestants antiracistes qui se retrouvent aujourd'hui sur le banc des accusés.
En matière de statues déboulonnées cette dernière année, les débats enfiévrés ont questionné la pertinence de ces gestes de protestation, d’autres regrettaient une radicalité qui ne supportait pas la nuance, quand les déboulonneurs et leurs supporters s’en faisaient une fête. La plupart des personnages statufiés concernés avaient un lien avec le commerce d’esclaves. Le destin de la statue de Colston de Bristol tient une place de choix dans cette dispute de l’espace public et sa dimension historique. Il y a plus d’un an, maintenant, sa statue avait été tirée de son socle et roulée jusqu’au port de Bristol à proximité pour y être balancée dans ses eaux. Les images de cette cérémonie avaient circulé généreusement pour faire du destin de ce Colston de bronze, à peu près inconnu jusque-là, un exemple spectaculaire de cette vague iconoclaste commencée quelques semaines plus tôt aux Etats-Unis avec l’explosion bientôt mondial du mouvement Black Lives Matter. Jusqu’ici la mémoire populaire locale de Colston avait retenu son action philanthropique et sa part dans le développement de la ville de Bristol qui avait donc choisit de le célébrer aux yeux des passants. Désormais, il était mondialement connu pour ses activités dans la traite négrière au XVIIe siècle.
Un mois plus tard une nouvelle statue signée par l’artiste Marc Quinn avait été érigée, sans accord de la municipalité, elle représentait Jen Reid, une manifestante photographiée le poing levé le jour du déboulonnage. La statue de Colston, repêchée dans les eaux de la rivière Avon où elle avait terminé son parcours, n’avait pas été remise en place et son sort était régulièrement évoqué. Que faire de ces statues désormais retirées de l’espace public ? Les remettre à leur place mais en ériger d’autres à l’effigie de leurs victimes ? Avec la promesse de transformer les vieilles métropoles en forêt de statues, de mémoire et d’histoire. Devait-on leur dédier des espaces plus discrets, des « jardins du souvenir » pour matérialiser le temps long de l’histoire de l’esclavage sur le modèle des parcs de bustes de Staline que l’on peut trouver en Russie depuis la chute de l’union soviétique ? On était sans nouvelles du Colston de Bristol jusqu’à la semaine dernière : la statue a été exposée au musée M-Shed, le musée d’histoire de la ville de Bristol. Elle apparaît toujours couverte des inscriptions à la peinture rouge et bleu qui ont accompagné sa destitution, ces graffitis font désormais partie intégrante de son histoire, comme le remarque David Olusoga dans le Guardian, « comme les graffitis sculptés dans Stonehenge et les pyramides ou les inscriptions des soldats de l'Armée rouge en 1945 sur les murs à l'intérieur du Reichstag ».
Colston n’a pas été disposé debout mais allongé, cette fois-ci, dans un musée, mais dans la position renversée du disgrâcié, dans une posture pensive et comique de celui qui tente de comprendre un tournant inattendu et pas franchement désirable de son destin, les bras croisés et une main sous le menton. Selon le critique d'art Alastair Sooke, Colston est désormais une "célébrité déshonorée", et la décision des conservateurs du musée de laisser les graffitis infligés par les déboulonneurs constitue une insulte calculée qui contient sa déchéance publique. Un enregistrement de l’histoire du temps présent qui n’a pas encore trouvé les moyens de l’apaisement social autour de l’histoire à venir dans l’espace public de Bristol et d’ailleurs.
Liens :
- David Olusoga, A year on, the battered and graffitied Colston is finally a potent memorial to our past, The Guardian, 06/06/2021.
- Cécile Ducourtieux, Le procès des « Colston 4 » ravive les tourments de Bristol sur son passé négrier, Le Monde, 05/02/2021.
- Fallait-il abattre la statue de Colston à Bristol ? Le Courrier International, 09/06/2020.
L'équipe
- Production