Le sucre : poison réjouissant

Suivre le sucre pour éclairer l’histoire du monde.
Suivre le sucre pour éclairer l’histoire du monde. ©Getty
Suivre le sucre pour éclairer l’histoire du monde. ©Getty
Suivre le sucre pour éclairer l’histoire du monde. ©Getty
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Le sucre se révèle être un objet historique passionnant. Cette marchandise hors du commun va révolutionner le goût des Européens tout en participant à l'exploitation des plantations esclavagistes.

Les fêtes de fin d’années sont là, cette période où même les guirlandes finissent par avoir l’air sucrées, avec cette avalanche de chocolats, de marrons glacés et de vin moelleux, sans parler des inévitables bûches et des glaces bien sûr, parce que c’est plus léger ! 

Si ces agapes s’annoncent différentes, l’overdose de sucre devrait fidèlement répondre au rendez-vous, et même s’il ne protège pas vraiment des virus qui errent dans les parages, on en aura d’autant plus besoin dans un élan hautement régressif et compensatoire à défaut d’avoir une vie sociale en dehors du cercle familial. Cette overdose de sucre à une histoire tout autre que celle qui s’inscrit dans notre pharmacie sous la forme d’un stock résolu de citrate de bétaïne. 

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À tout ceux qui fêtent Noël ou pas, mais qui ont forcément d’autres occasions de frôler le coma hyperglycémique, kippour et les nuits du ramadan en tête de liste, James Walvin a retracé l’histoire du sucre de l’antiquité à l’obésité.

L’histoire du sucre c’est l’histoire d’une arme de destruction massive des dents prolétaires du Manchester d’après-guerre aux plantations esclavagistes. James Walvin veut répondre à la question : "Comment le monde a-t-il pu se laisser empoisonner par cette marchandise hors du commun ? ". 

Sa trajectoire est longue : élaboré en Asie, le sucre de canne se propage en un millénaire à travers la Méditerranée et l’Afrique pour rebondir vers l’Europe qui la découvre au Moyen-Orient à l’occasion d’une croisade au XIe siècle. 

C’est un produit rare et les profits sont prometteurs : les cours européennes en raffolent bientôt, de cette douceur que l’on apprend à introduire un peu partout. Une addiction nourrie par le commerce organisé d’une canne à sucre produite par le travail forcé dont les structures sont développées au Brésil avec succès. 

Pour fournir ses adeptes aux dents rapidement défaillantes, le sucre est cultivé sur des plantations aux dimensions en expansion. Si le sucre fait son invasion en Europe, dans l’autre sens ce sont des millions d’esclaves qui sont débarqués dans les Caraïbes et sur les côtes américaines pour le produire. Le sucre, c’est l’histoire de l’apparition d’un goût nouveau et de la violence qu’il induit pour le contenter sur les corps et les paysages.

Le sucre devient un bien essentiel dont on ne peut se passer même en temps de guerre, avec ses substances d’accompagnement : le thé, le café, et l’alcool qu’il permet de distiller, sans oublier la confiture qui assure sa diffusion au sein des populations les plus modestes. 

Le sucre est partout, la dépendance du monde est assurée pour longtemps. Car cette histoire du sucre a de beaux jours devant elle, tant elle dit les ravages envisageables pour le contentement de notre quête de plaisir.

Liens :

James Walvin, Histoire du sucre, histoire du monde (trad. de l’anglais par Philippe Pignarre), La Découverte (2020).

En attendant Nadeau, Histoire d’un empoisonnement mondial par Philippe Artières, 29/08/2020.

Extrait du film La Bûche de Danièle Thompson (1999).