

On en voudrait aux Hommes d'État de ne pas se déplacer pour faire preuve d'empathie auprès de populations touchées par une catastrophe naturelle. Ces visites très médiatisées sont chose commune aujourd'hui. Le premier à en avoir compris la portée, et les bénéfices, est Napoléon III.
Hier, Emmanuel Macron s’est rendu sur les lieux de la tempête Alex. Ce qui se joue pour tous les gouvernements en temps de catastrophes naturelles : leur capacité à intervenir mais aussi à réparer, à assurer le bien-être minimum des populations qu’ils gouvernent et à montrer une solidarité de l’État sans faille pour actualiser sa propre utilité. Pour cela il faut que le politique se montre là où les catastrophes sévissent.
La première visite D'État sur le théâtre d’une catastrophe naturelle c’est en 1856 et elle tombe à pic. Napoléon III, empereur des Français est alors un peu embêté. Depuis le début de son règne, certaines de ses réalisations sont impressionnantes : la couverture ferroviaire du territoire, le télégraphe électrique, sa volonté de placer l’empire sur la voie du progrès fait ses preuves mais cette démonstration est contrariée par des disettes et des épidémies de choléra qui sévissent et ne jouent pas en faveur de son image de protecteur. S’ajoute à cela une guerre de Crimée, dont la France sort victorieuse face à la Russie mais qui a coûté beaucoup, et beaucoup trop, en vies humaines et en argent. Il lui faut pourtant poursuivre le renforcement de son aura après son accession au pouvoir par un coup d'État et avec une nouvelle donnée que la monarchie doit prendre en compte : le suffrage pas exactement universel mais élargi qui pourraient les exposer, peut-être un jour, à la désapprobation des électeurs. Une série d’inondations au printemps 1856 lui donne une occasion à saisir : les bassins du Rhône, de la Loire et de la Saône subissent d’énormes crues, les deux tiers du pays sont sous l’eau. Les villes sont inondées, les campagnes avec elles. La crue la plus spectaculaire se trouve dans la région d’Arles et transforme la Camargue en un véritable lac. Fait inédit, Napoléon III se déplace immédiatement avec pour mission affichée de constater les dégâts et de soutenir les habitants en détresse. L’empereur commence donc une tournée en train, en bateau, quand le train n’est plus envisageable, et distribue argent, promesses d’argent et médailles à tour de bras, aux militaires comme aux civils, une manie héritée de son oncle. Surtout, il donne de sa personne et ses prestations empathiques sont largement relayées par une presse qui lui est toute acquise. Une presse qui n’oublie personne, même pas ceux qui ne savent pas lire en publiant tout un imagier de la charité impériale à l’œuvre.
Dans leur dernier ouvrage commun, Jean-Baptiste Fressoz et Fabien Locher, enquêtent sur ces catastrophes naturelles, ces « révoltes du ciel » et nous laissent entrevoir comment les transformations du climat sont au cœur de débats fondamentaux sur la colonisation, la foi, l’État, la nature et les régimes politiques depuis le XVe siècle. Si cette visite impériale auprès des sinistrés de 1856 est une réussite, elle s’inscrit dans une bataille acharnée de cabinets et d’experts dans l’entourage politique du souverain à propos de la déforestation mais à l’abri des regards. Ce qui est alors visible : Napoléon III a montré son efficacité dans la quête ambitieuse qu’il formule directement l’année suivante : maîtriser les caprices des fleuves aussi bien que les élans révolutionnaires, contrôler aussi bien les hommes que la nature. Autrement dit la protection et l’autoritarisme, l’autoritarisme étant mieux accepté quand on est protégé. Cette première opération médiatique du genre montre aussi à quel point les questions environnementales agissent depuis plus longtemps qu’on ne le croit sur les manières de gouverner.
Jean-Baptiste Fressoz, Fabien Locher, Les Révoltes du ciel - Une histoire du changement climatique XVe-XXe siècle, Seuil, 2020
Camille Couderc, Utilisation politique d'une catastrophe : le voyage de Napoléon III en Provence durant la grande crue de 1856, Revue historique, 1996.
Raphaëlle Bacqué et Sofia Fischer, « Jamais, jamais, je n’ai cru qu’il y avait un risque » : habitants et élus des vallées inondées tentent de comprendre la catastrophe, Le Monde, 06/10/2020.
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