

Quatre ans après, comment les historiens se sont-ils saisis des attentats du 13 novembre ?
Le 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis a laissé une empreinte cruelle dans nos mémoires. Une fois passée la sidération, certains historiens se sont penchés sur l’événement pour participer à la compréhension de ce que ces attentats nous avaient fait, peut-être comme Sophie, survivante de l’attentat du Bataclan qui explique pourquoi elle a accepté de participer à l’un des programmes de recherche :
Je suis chercheure moi même, donc, ma première motivation, c'était une espèce de motivation professionnelle, de solidarité professionnelle. Et je me suis dit : "voilà s'ils n'ont pas constitué encore leurs échantillons, même si ça fait un moment que l'étude a démarré, je peux au moins les aider à ça". Ensuite, il y avait de la curiosité. Je suis chercheure et donc très curieuse. C'était pour moi un moyen en participant de suivre aussi un peu les résultats des travaux qui allaient être faits. Et puis, pour tout vous dire, je trouve que c'est aussi un beau pied de nez aux terroristes. Parce que quand on est chercheur, on crée de la connaissance.
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Agir contre l'obscurantisme avec les armes de la recherche
Produire de la connaissance pour assigner à la défaite l’obscurantisme aux manettes ce jour-là, pour recommencer à penser avec l’événement. Mais quel modèle convoquer pour établir une méthode d’analyse historique ? Différents programmes de recherche d’ampleur variable ont vu le jour pour réagir avec les armes de la recherche, majoritairement à l’initiative de spécialistes de la Seconde guerre mondiale. Les expériences de collectes de témoignages des rescapés des camps nazis constituaient un point de départ, des protocoles, des modèles à interroger. Avec cette différence majeure : les rescapés de la Shoah ont souvent témoigné des décennies après leur libération, quarante parfois soixante ans après. Des conditions qui influent sur le témoignage. Jean-Marc Dreyfus, historien de la Shoah commentait en 2016 la création des programmes de recherche sur les attentats du 13 novembre.
L'homme peut oublier même Auschwitz. Primo Levi l'a dit, à la fin, il se rendait compte qu'il ne se souvenait plus d'Auschwitz et cela a accentué son désespoir, en fait même lui avait oublié. Il se souvenait de la dernière fois qu'il avait témoigné. Vous voyez, toutes ces couches de mémoire. En fait, quand on interviewe, on crée aussi une nouvelle mémoire. Jean-Marc Dreyfus
Une diversité d'initiatives
Les initiatives ont été nombreuses pour créer les archives nécessaires à une enquête historique. L’évolution de la mémoire collective et individuelle après un traumatisme de grande ampleur, c’est le projet élaboré par Denis Peschanski, historien, et Francis Eustache, neuropsychologue et spécialiste de la mémoire et de ses troubles, qui ont monté un programme transdisciplinaire sur douze ans pour étudier à la fois l’évolution du récit des témoins et ses effets biologiques, comment le cerveau traite le traumatisme face à un événement si violent. Autrement dit comment se construit une mémoire et comment cette mémoire évolue.
Pour Sarah Gensburger, sociologue et historienne, le modèle des témoignages du génocide juif, s’il reste stimulant, risque d’effacer la singularité des attentats du 13 novembre. C’est sur place, dans les rues, sur les lieux de témoignage de deuil spontanés, qu’elle enquête sur les effets quotidiens de l’attentat du Bataclan après l’événement. S’il est nécessaire aux victimes de témoigner, il l’est tout autant de reprendre le cours de la vie, sans pour autant oublier, se reconstruire sans rester exclusivement victime. Une enquête qu’elle relaie dans un blog en manière de carnet de recherche et un livre paru en 2017 : Mémoires vives, chroniques d’un quartier.
L'élaboration d'un musée mémoriel
La France veut savoir regarder en face les réalités que cela implique et mener un travail mémoriel, scientifique, pédagogique permettant à chacun de saisir toutes les implications et toutes les résonances de ce qui, à intervalles réguliers, nous frappe. C'est pourquoi je souhaite qu'un musée mémorial du terrorisme menant ce travail dans toute son ampleur soit créé et que cette préfiguration soit lancé sans plus attendre. Emmanuel Macron
A la tête de l’Etat, pour Emmanuel Macron, le devoir de mémoire des attentats perpétrés en France passe aussi par l’élaboration d’un lieu, qui s’incarne dans un projet de musée mémoriel pour lequel il a missionné l’historien Henri Rousso, lui aussi spécialiste de la Seconde guerre mondiale. Un lieu en cours d’élaboration pour que dialoguent l’histoire et les mémoires.
L’histoire se nourrit de toutes les sources à sa disposition, en ce qui concerne les attentats du 13 novembre, le nombre et la diversité des initiatives sont présents, l’histoire continue bien après le 13 novembre 2015 et c’est en soi une victoire.
par Anaïs Kien
Pour plus d'informations : Le blog " Chroniques sociologiques du quartier du Bataclan" de Sarah Gensburger
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