Traquer l’intime dans l’histoire

 Un prêtre âgé de 24 ans, le plus jeune de l'URSS, écoutait une confession à l'église St. Albert.
 Un prêtre âgé de 24 ans, le plus jeune de l'URSS, écoutait une confession à l'église St. Albert. ©Getty - Patrick Tehan/The LIFE Images Collection
Un prêtre âgé de 24 ans, le plus jeune de l'URSS, écoutait une confession à l'église St. Albert. ©Getty - Patrick Tehan/The LIFE Images Collection
Un prêtre âgé de 24 ans, le plus jeune de l'URSS, écoutait une confession à l'église St. Albert. ©Getty - Patrick Tehan/The LIFE Images Collection
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Aujourd’hui dans le journal de l’histoire, la revue Sensibilités consacre son dernier numéro à l’intime.

« Paradoxes de l’intime », c’est le titre de la sixième livraison de la revue Sensibilités, au pluriel. Une revue « d’histoire, de critique et de sciences sociales » qui ambitionne avec succès de renouveler le genre. Qu’est-ce que l’intime et si l’on s’en fait une idée, les sciences sociales peuvent-elles y accéder pour en rendre compte ? Les auteurs sous la direction d’Arlette Farge et de Clémentine Vidal Naquet y explorent sa dimension profondément historique et politique. 

Quand l’expression des sentiments élémentaires devient impossible

Dans le foisonnement de ce numéro, Anouche Kunth s’empare des batailles livrées par les familles face aux violences de masse. Sur les traces des Arméniens, des Juifs d’Europe de l’Est, l’historienne traque la recomposition des familles après la destruction à travers les correspondances et les témoignages d’auteurs emblématiques de ces peuples exilés. Si les archives administratives tentent de dresser la liste des disparus, elles ne disent pas comment les liens familiaux sont atteints, après avoir été soumis à la violence et à l’arrachement du milieu où ils étaient nés. Car les génocides ciblent l’unité élémentaire de vie des populations en les déplaçant, en les séparant en commençant par tuer les hommes, les pères, les frères.

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Zabel Essayan, écrivaine, témoigne  des scènes du bouleversement affectif dans les centres de réfugiés de la Croix rouge ; des mères qui ne peuvent plus vivre avec leurs enfants pourtant rescapés eux aussi. Quand l’expression des sentiments élémentaires devient impossible, jusqu’à l’abandon. Avoir survécu ensemble à la tentative d’effacement ne garantit pas de se retrouver. Les membres d’une même famille se séparent parfois pour se reconstruire ailleurs en dehors du regard de ceux qui portent la même mémoire, les mêmes souvenirs traumatiques. 

Anouche Kunth évoque aussi comment les liens affectifs s’improvisent : les adoptions entre survivants, les fratries réinventées dans les orphelinats et l’importance de se constituer une famille après pour conjurer la destruction quand l’intimité reprend place. Une place troublée dans les mémoires d’Aaron Appelfeld qui devient lui aussi un écrivain célébré après la Shoah mais avec un sentiment coupable de ne pas parvenir à rendre compte des derniers instants de ses morts, de ne pas pouvoir les enterrer à l’abri d’un rituel familial où faire son deuil. 

La confession au XIXe siècle, une direction de conscience ?

Dans ces « Paradoxes de l’intime », Caroline Muller expose une partie de son travail de thèse sur la direction de conscience et la confession au XIXe siècle. Depuis le concile de Latran en 1215 tout catholique se doit de se confesser au moins une fois par an, un moment de dévoilement de soi imposé par le culte pour éprouver la bonne pratique, pour se montrer bon catholique, on tient les registres, et garder le droit de communier à la fin de chaque messe à laquelle on ne manquera pas de se rendre chaque dimanche. Que cherche celles et ceux qui s’adonnent à la direction de conscience, à ce lien entre leur intimité, leur directeur et dieu ? Tout dépend de la vie qu’on a et du sexe que l’on a. Si l’intime est censé renfermer l’authenticité, toute la singularité d’un individu, les réponses religieuses se cantonnent le plus souvent à des stéréotypés en fonction du sexe du fidèle pour garder l’ordre catholique genré intact : on dispense une morale du sacrifice de soi  et de la maternité pour les femmes, l’obéissance au mari aussi, et aux hommes une morale du travail et de l’honneur, autant dire qu’on ne répond pas à toutes les questions qui se posent au cours d’une vie. On se rebelle d’ailleurs parfois à confesse comme Madame Rakowska qui désespère son directeur de conscience parce qu’elle ne l’écoute pas, insatisfaite qu’il refuse de prendre en considération son caractère singulier. 

De l’histoire de la confession, de la maternité, à la révélation de l’intime au quotidien des adolescents incarcérés en passant par les conceptions de l’intime au Japon qui contrarie la définition occidentale, le dossier de la revue Sensibilités explore les multiples facettes de l’intime sans les épuiser et l’on s’en réjouit.  Et si vous manquez de temps, lisez au moins son introduction inspirée, signée par Clémentine Vidal-Naquet. 

par Anaïs Kien

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