Après avoir été alertée par un corbeau, la justice française enquête depuis mars dernier sur plusieurs tableaux de maître, estimés à plusieurs millions d'euros, pour déterminer s'il s'agit ou non de faux. Si le scandale était avéré, il pourrait s'agir de l'un des plus terribles du siècle.
- Philippe Scarzella Avocat au barreau de Paris et de Genève
- Vincent Noce Journaliste et critique d'art
Tout commence en mars dernier, lorsque la justice française saisit un tableau, une Vénus Voilée attribuée au maître Lucas Cranach l’Ancien, issue de la très prestigieuse collection du Prince du Lichtenstein. La justice française, après avoir reçu une lettre anonyme, soupçonne la toile d’être en réalité un faux moderne. Des dizaines d’autres tableaux sont ensuite ciblés par les enquêteurs : un Portrait d’homme de Frans Hals (1580-1666), classé trésor national en 2008 en France, ainsi qu'un David contemplant la tête de Goliath, attribuée à Orazio Gentileschi. Pas de point commun a priori à part qu’elles sont toutes apparues sur le marché après avoir appartenu à un même propriétaire : un certain Giuliano Ruffini, septuagénaire italien, qui se présente comme collectionneur et amateur d’art, inconnu jusque-là du grand public. C’est lui qui est aujourd’hui dans le viseur des enquêteurs, explique Vincent Noce journaliste au Journal des Arts. Il enquête depuis plusieurs mois sur cette affaire et a sorti vendredi un article révélant l’ampleur de cette affaire.
Aujourd’hui, aucune décision judiciaire n’indique que ce sont des faux. Mais le soupçon, c’est que tout cela proviendrait d’un atelier de fabrication situé dans le Nord de l’Italie. Un analyse poussée réalisée au laboratoire du Louvre montre que le pseudo Cranach pourrait être une contrefaçon moderne, chauffée dans un four à pizza pour être artificiellement vieillie.
Publicité
Giuliano Ruffini est-il un faussaire, travaille-t-il avec des faussaires ? Il n’a en tous cas pas été mis en examen par la justice. A ceux qui le soupçonnent d’avoir abusé les acheteurs de ses toiles, il répond qu’il n’a jamais présenté ces tableaux comme des toiles de maître, et que ce sont les sommités du milieu les experts de grands musées européens et les grandes maisons de ventes comme Sotheby’s qui les ont reconnus comme authentiques, rappelle son avocat Me Philippe Scarzella.
Mon client, monsieur Ruffini, n’a jamais considéré qu’il avait à faire à des authentiques Cranach ou authentiques Hals. Ce sont généralement les marchands ou les maisons de vente qui se sont chargés d’authentifier ces tableaux (..) Pour le Cranach, il considérait que c’était une école flamande de style Cranach, parce qu’on reconnait bien le style de l’époque. Mais il n’ a jamais pensé qu’il puisse être de la main même du maître.
L’autre argument de Giuliano Ruffini est simple : il est difficile d’imaginer qu’un seul et même faussaire ait pu contrefaire autant d’artistes. Si dans l’histoire de l’art, plusieurs grands faussaires ont réussi à tromper les meilleurs experts, ils étaient tous spécialisés dans la contrefaçon d’un peintre, ou tout du moins d’une école, ou d’un courant spécifique. Il s’agit ici d’une dizaine de tableaux, peut-être plus. D’où l’ampleur inouïe du potentiel scandale, explique le journaliste d’investigation Vincent Noce.
C'est tout l'extraordinaire de cette affaire. Non seulement des grandes maisons de vente aux enchères comme Sotheby's, ou de grands musées comme le Metropolitan de New York ou le Louvre sont impliqués, puisqu'ils ont eu entre les mains ces tableaux et les ont reconnus comme authentiques. Mais, ce qui serait extraordinaire, s'il s’avérait que toute cette série de tableaux était une contrefaçon moderne, ce serait de trouver un peintre capable de faire des Brueghel, des Velasquez, de Hals, des Greco, qui sont quand même des techniques et des styles très différents ! Donc, si jamais l'enquête aboutissait à révéler l'existence d'un tel artiste, ce serait sans doute l'un des faussaires les plus brillants qui ait jamais existé.
L’autre question qui se pose dans cette affaire, c’est celle de la responsabilité des fameux experts des musées et des maisons de vente. Car si l’enquête venait à révéler l’existence d’un faussaire, fût-il un génie, le fait que les plus grands experts internationaux aient pu potentiellement se tromper est problématique. Et emblématique, selon Vincent Noce, de deux problèmes structurels : d’une part une notion d’expertise qu’il faudrait peut-être réformer, basée essentiellement sur l’image, c'est-à-dire sur l’esthétique d’une œuvre, et qui ne prend pas toujours en compte son support, ses conditions de création, etc. Et d’autre part, le silence assourdissant qui règne dans le milieu de l’art. Ni Sotheby’s, ni le conservateur du Louvre qui avait authentifié l’œuvre de Hals ne souhaitant communiquer. Et si l’on ajoute à cela le secret de l’instruction, il est très difficile aujourd’hui de faire circuler les informations dans cette affaire.
Un autre mystère reste à éclaircir, qui est donc l’auteur de la lettre anonyme qui a déclenché toute cette affaire ? L’enquête continue.
L'équipe
- Production