A l’écoute de la noise ou l’expérience pure de l’écoute

Lou Reed en concert à Londres en juin 2007
Lou Reed en concert à Londres en juin 2007 ©Getty - Jim Dyson
Lou Reed en concert à Londres en juin 2007 ©Getty - Jim Dyson
Lou Reed en concert à Londres en juin 2007 ©Getty - Jim Dyson
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La musique noise nous fait vivre une expérience philosophique : l’écoute de l’écoute.

Savez-vous quel est le son laid le plus beau du monde ? « The most beautiful ugly sound in the world » ? C’est ça : de la noise : littéralement et comme on l’entend, c’est du bruit. Mais précisément ce que l’on entend ici, c’est de la « japanoise » (du compositeur Merzbow). Que les amateurs de noise me pardonnent, je n’y connais rien, mais je me suis passionnée pour ce livre d’esthétique et de philosophie de Catherine Guesde et Pauline Nadrigny, paru aux éditions MF, A l’écoute de la noise

Connaissance ou pas, goût ou pas pour cette musique, je suis certainement comme la plupart des auditeurs et comme la plupart des auditeurs de noise, écouter de tels sons me met mal, ça me fait du mal… mais c’est précisément ça qui est intéressant. Car avec la noise, on fait une expérience véritable : non seulement une expérience au sens propre, puisque notre corps le ressent, puisque nos sensations de douleur sont là, mais on fait aussi une expérience de philosophie pure puisqu’on expérimente un paradoxe même, celui de l’écoute : on écoute tout en repoussant l’écoute. 

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Voici un autre exemple de noise : plus connu, c’est le tout début de l’album de Lou Reed, Metal Machine Music. Et avec la japanoise, le noise rock d’un Lou Reed, ça donne ça : de la harsh noise, soit de la noise radicale : non pas du son pur, clair, limpide, mais un « pur son » où tout l’enjeu est une diffusion pure, brute du son, qui suppose, donc, une écoute pure, soit une expérience de l’écoute à la fois, comme je l’ai dit, véritable et paradoxale : une expérience dans laquelle l’oreille est tendue vers un son qui nous repousse. 

Cette expérience que procure la musique noise, c’est donc l’expérience pure, brute et paradoxale de l’écoute : alors qu’habituellement on s’y épanouit, on l’absorbe, ou on y est indifférent, là, on est attentif à ce qui s’y produit : on écoute les sons et les bruits pour eux-mêmes et on voit bien ce qu’ils nous font. Mais comment écouter ce qui nous repousse, ce qui nous met mal ? L’écoute, dès qu’elle n’est plus confortable, mélodieuse, dès qu’elle ne se fait plus oublier, est-elle inaudible ? 

Comment donc écouter l’écoute ? Est-ce forcément faire l’expérience du silence ou de l’inaudible ? C’est bien cette question que soulève la musique noise. Aller à un concert des Bloody Valentine, qu’on entend là, c’est s’exposer physiologiquement, pas seulement d’un point de vue acoustique ou esthétique. 

Et c’est aussi ça que fait la musique noise plus précisément : parce qu’elle est une expérience d’écoute inconfortable, douloureuse même, elle met au jour tout ce qui ne s’entend plus dans une écoute fluide, elle décompose et désarticule tout ce qui se fondaient harmonieusement : l’acoustique, le physiologique et l’esthétique. Elle nous met ainsi face à ce qu’est un corps qui écoute. 

Un corps sans organe, qui n’est qu’intensité, ondes et vibrations, comme le dit Artaud, ou Deleuze et Guattari ; un corps chatouillé, comme le dirait Descartes. Voilà ce qu’est un corps qui écoute. Expérience que l’on fait tous les jours, mais que seule une certaine musique nous révèle et nous remet à l’endroit.  

Extraits musicaux 

Merzbow, Minus Zero

Lou Reed, Metal Machine Music 

Wolf Eyes, No Answer : Lower Floors

My Bloody valentine, I only said

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