À la découverte des sept péchés capitaux : épisode • 1/8 du podcast Les sept péchés capitaux

"Les Sept Péchés capitaux et les Quatre Dernières Étapes humaines" de Jérôme Bosch / Musée du Prado de Madrid
"Les Sept Péchés capitaux et les Quatre Dernières Étapes humaines" de Jérôme Bosch / Musée du Prado de Madrid - Wikicommons
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À travers huit épisodes, enquête sur les sept péchés capitaux.

De grandes résolutions

Les débuts d’années, vous le savez comme moi, sont toujours l’occasion de prendre de bonnes résolutions. Ici, dans Le Journal de la philo, nous avons décidé – qu’il est commode parfois ce « nous » de modestie, n’est-ce pas ! – nous avons décidé, donc, de mettre la barre très haut. Pas de petites résolutions du type moins sortir, lire plus de livres, se remettre ou tout simplement se mettre au sport, tenir un journal, arrêter la cigarette. Non, non. Cette année nous avons décidé de nous attaquer au cœur du problème, travailler sur notre intériorité. Pour cela, nous nous sommes tournés vers les sept péchés capitaux. Les sept péchés capitaux ne descendent pas du ciel. Ils ne sont pas révélés. Ils ont une histoire. Ils s’inscrivent en fait dans la grande chronique de la spiritualité antique puis chrétienne. Plus exactement, ils trouvent leur source dans ce département de la théologie qu’on appelle la doctrine ascétique. Tout commence au début du IVe siècle. L’Empire se convertit à l’Église qu’il a persécutée. Craignant un recul de la foi, des hommes et des femmes partent au désert. Ils veulent continuer à être des martyrs. C’est-à-dire, littéralement, des « témoins ». Ils veulent vivre dans la solitude et la nudité pour combattre le diable et gagner la vision de Dieu. Ce sont les premiers moines qui s’installent d’abord dans les thébaïdes d’Égypte.

D’un rivage à l’autre

Parmi eux, venu des rivages de la mer Noire, figure un grand intellectuel. Il se nomme Evagre le Pontique. Né en 349, mort en 399, il va codifier la psychologie du désert. Puisant d’un côté chez les stoïciens, enquêtant d’un autre côté auprès des ermites, il entreprend de systématiser la discipline de vie qui permet de s’affranchir des passions. En fait, il compose un véritable traité de la déprogrammation. Le moine doit se libérer de son état biologique, affectif, social. Mais, pour cela, il lui faut vaincre les pensées qui l’enchaînent au monde. Le théâtre de son combat est intérieur. Comment atteindre la paix, indispensable à la contemplation, alors que toutes sortes de pensées, d’images, de désirs l’assaillent et le tourmentent ? S’il a peu d’occasions concrètes de pêcher, c’est-à- dire de se rater selon l’étymologie du mot, le moine se confronte en permanence aux fantasmes qui font de lui, potentiellement, un possédé. Ce sont ces pensées dévorantes qu’Evagre classifie. Il le fait en grec. Son disciple Jean Cassien, qui va fonder le monachisme en Provence, en donne une version latine. Tous deux en dénombrent huit. Ce sont des modes de tentation « capitaux » en tant qu’ils sont à la tête, à la source, à la racine de toutes les formes possibles de chutes auxquelles tend l’ego.
Ces huit pensées, Evagre, et Cassien ensuite, les classent selon deux ordres.
Le premier concerne la partie dite « concupiscible » de l’âme, autrement dit les passions de l’avoir.
Le second ordre, la partie dite « irascible » de l’âme, autrement dit les passions de l’être.
Les quatre pensées de possession sont ainsi : 

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  • la gastrimargia, la gloutonnerie
  • la porneia, fornicatio en latin, la luxure
  • la philarguria, l’avarice
  • la kenodoxía, la vaine gloire

Quant aux quatre pensées de domination, ce sont :

  • l’orgế, ira en latin, la colère
  • la lúpê, tristitia en latin, la tristesse
  • l’akêdia, l’acédie dépression
  • l’hyperêphanía, superbia en latin, l’orgueil

Éveil spirituel et vie vertueuse

Les affronter et les maîtriser correspond originellement à une pratique de l’éveil spirituel.
Mais, en Occident, cette classification va prendre une signification plus morale. La liste va également varier sous l’impulsion du pape Grégoire le Grand à la fin du VIe siècle. L’orgueil absorbe la vaine gloire et la tristesse, l’acédie, tandis que s’ajoute l'envie.
De huit, les passions majeures passent à sept, chiffre symbolique s’il en est.
Six siècles plus tard, Thomas d'Aquin arrête la nomenclature définitive des sept péchés capitaux qui représentent aussi bien désormais sept vices fondamentaux : l’orgueil, l’avarice, la luxure, l’envie, la gourmandise, la colère, la paresse. Ils s’opposent aux sept vertus fondamentales : les trois théologales qui relèvent de la grâce : la foi, l'espérance, la charité ; et les quatre cardinales, qui relèvent du mérite : la justice, la prudence, la tempérance, le courage.
C’est cette conception que canonise le Concile de Trente, lors de la contre-Réforme au XVIe siècle et que reprend le Catéchisme universel de l'Église catholique publié par le pape Jean-Paul II en 1997. On peut et on doit cependant regretter que l’acédie ait disparu au passage. Or, pour Evagre, il s’agit du danger majeur qui guette le moine. De plus, la description qu’il en donne s’apparente à la définition des accès maniaco-dépressifs qu’on trouve dans les manuels de psychiatrie moderne.
Que l’Occident ait oublié la mélancolie ne laisse pas d’étonner. Elle est pourtant, selon Evagre, la cause la plus répandue du péché et, le plus souvent, son salaire. Mais elle est aussi à la source de la création littéraire et artistique. Ainsi, ce qu’Evagre ne pouvait suspecter, sa théorie allait non seulement hanter l’imaginaire européen, déterminer la morale individuelle, mais encore susciter une foultitude de récits romanesques et de représentations picturales qui ont moins libéré notre psyché qu’elles ne l’ont conformé. C’est l’enquête que nous vous proposons sur sept épisodes du Journal de la Philo, un épisode par péché capital, avec l’aide précieuse de Benjamin Olivennes.

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