Aller au bout de ses rêves… : épisode 12/23 du podcast Anti-manuel de philosophie

Aller au bout de ses rêves…
Aller au bout de ses rêves… ©Getty -  CSA Images
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Que signifie vraiment l'injonction de développement personnel qui nous pousse à nous accomplir : aller au bout de ses rêves ? Devenir écrivain, pompier, acteur... Les rêves que nous avions enfant contiendraient-ils notre essence profonde ? Seraient-ils les garants de notre bonheur ?

Quoi de mieux en cette période où on fait le bilan, où on prend de bonnes résolutions, que de revenir sur une expression tant et tant employée, une injonction de développement personnel qui nous plonge au cœur de nos désirs, un appel à s’accomplir, qu’on agrémente volontiers de Spinoza ou de Freud, ou dans tout autre genre, de Jean-Jacques Goldman…

Une promesse

“Aller au bout de ses rêves”. On l’entend tellement qu’à force on ne se pose plus la question : mais qu’est-ce que ça veut dire d’aller au bout de ses rêves ?
Certains parlent de “réaliser ses rêves”, d’autres ajoutent qu’il s’agit de “rêves d’enfant” pour être plus précis. Au final, c’est la même chose : toute une littérature promet de nous aider à “aller jusqu’au bout pour réaliser nos rêves d’enfant”. 

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Mais pourquoi vouloir faire ça ? Pourquoi ce projet est-il séduisant, désirable, pourquoi nous rassure-t-il ou nous enchante-t-il ? C’est une question que je me suis souvent posé : que veulent dire les personnes qui promeuvent pour eux, ou pour les autres un tel projet de réaliser ses rêves ?

C’est vrai : cette phrase “va au bout de tes rêves” sonne comme une promesse, comme si elle contenait la clé d’un bonheur assuré, authentique. Mais pourquoi ? Pourquoi retrouver en nous des rêves enfouis, les identifier, les ériger en buts et les atteindre par tous les moyens, psychiques ou matériels, serait-il une promesse de bonheur ? 

C’est qu’on y trouve le présupposé suivant : si nous allons mal, c’est parce que nous aurions perdu de vue ces rêves, et par là une partie de nous-mêmes, et si nous voulons aller mieux, il faudrait tout simplement tenter de les réaliser. Mais pourquoi le bonheur serait-il contenu là, dans ces rêves, dans des rêves ? Et pourquoi le rêve serait-il vraiment, plus qu’autre chose, le lieu de notre moi authentique ? 

Idéaliser les rêves

C’est un cliché, une évidence : la réalisation totale, complète, ultime de soi, résiderait dans celle de nos rêves. Vous savez, ceux qu’on avait quand on était enfant : le rêve de devenir astronaute, pompier, d’être écrivain comme Jacques Brel, d’être vétérinaire, d’être célèbre ou d’avoir beaucoup d’argent…. Il y aurait là l’essence de ce que nous sommes au fond, une essence désormais inatteignable ou perdue d’un moi idéalisé. 

Réaliser ses rêves, ce serait donc accomplir la chose qui nous semble la plus importante, qui nous caractérise le mieux, ce serait atteindre la meilleure version de nous-mêmes, la plus adéquate, la plus authentique, la plus fidèle. Ce serait, en fait, toucher son propre idéal.
Mais au-delà de cet egotrip, de cette volonté de puissance, on peut se demander : l’identification entre soi et ses rêves est-elle si claire ? Nos rêves sont-ils si authentiques, si purs ? Jusqu’où sont-ils reconstruits ? Interprétés ? 

Cette idée de “réaliser ses rêves” recouvre ainsi non seulement l’idée, bancale, que le rêve contient notre moi réel, vierge de la corruption du monde extérieur, mais aussi celle, tout aussi bancale, que le rêve est vrai, qu’il touche juste, qu’il a raison.
C’est comme si en misant sur le rêve, on idéalisait déjà le rêve en tant que tel, comme s’il était, de fait, meilleur que la réalité, dans le vrai quand la réalité serait trompeuse, viciée, fausse…
Mais si les rêves sont meilleurs que le réel, pourquoi vouloir donc les réaliser ? 

La tristesse d’avoir un objectif

Réaliser ses rêves, tout le paradoxe est là, dans cette phrase : car les réaliser, c’est littéralement les rendre réels et donc les faire tomber du côté de cette réalité dont on ne voulait plus, cette réalité que l’on croit fausse, corrompue, que l’on tient pour responsable de nous avoir détournés de nos rêves. 

Mais il y a quelque chose d’encore plus paradoxal, qui m’étonne encore plus dans cette injonction à aller jusqu’au bout de ses rêves, c’est qu’on est persuadé qu’on pourrait les connaître, les identifier, les désosser en un plan d’action, les résumer en un but. On veut les rendre réels et faire un trait sur ce qui, précisément, pourrait rester de l’ordre de l’idéal, tel un horizon, ou de l’ordre de l’imaginaire, tel un refuge qui nous repose ou nous évade. 

Quelle tristesse donc de vouloir réaliser ses rêves… car qu’en reste-t-il quand ils deviennent des objectifs ? 

Sons diffusés :

  • Jean-Jacques Goldman, J’irai au bout de mes rêves
  • Archive Jacques Brel 1971
  • Vidéo Youtube Ezorfr, « vidéo de motivation : réalisez vos rêves »

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