Et s’il fallait réduire les naissances pour sauver la planète ? C’est ce que semble en tout cas suggérer un tweet de l’AFP.
Changer ses ampoules ou avoir un enfant en moins ?
Lundi dernier, alors que paraissait le nouveau rapport des experts du GIEC sur le climat, l’Agence France Presse a publié un tweet qui a fait du bruit.
Celui-ci, en effet, présentait dans une infographie différents « petits gestes » que chacun des lecteurs du tweet pouvait faire et qui permettait de « réduire son empreinte carbone ».
La liste des gestes était hiérarchisée, des plus efficaces aux moins efficaces : de « changer ses ampoules » jusqu’à « abandonner la voiture à essence », et enfin le dernier geste possible, dont le tweet montrait qu’il représentait à lui seul 30 fois plus d’économies d’énergie que le précédent : « avoir un enfant de moins ».
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C’est cette dernière suggestion qui a enflammé le débat sur Twitter.
Les réactions les plus vives sont venues des milieux catholiques mais elles ne se sont pas limitées à eux. Peut-on traiter la décision d’avoir ou non des enfants de la même manière que celle qui consiste à changer ses ampoules ? Doit-on vraiment souhaiter que les Français fassent moins d’enfants ? Mais surtout, est-ce le rôle d’une agence de presse de traiter ce qui est un véritable choix de société comme si c’était une information neutre et non-idéologique ?
Quand la politique se fait biopolitique
Le consensus semble être que le tweet de l’AFP était maladroit... Mais s’il est maladroit, ce n’est pas parce que ce qu’il dit est faux, c’est parce qu’il présente comme allant de soi une décision qui demande un véritable débat, à la fois au sein des familles, mais surtout à l’échelle de la nation.
Outre le fait que toutes les grandes religions commandent, comme le dit la Bible, de « croitre et de se multiplier », une natalité élevée est également un objectif politique, poursuivi par la plupart des gouvernements de la planète.
Une démographie dynamique, on le sait, c’est un atout économique : les enfants d’aujourd’hui travailleront pour payer les retraites de demain. Une natalité élevée garantit une croissance élevée : elle permet d’avoir un grand marché intérieur, et donc de plus grands débouchés.
Mais la démographie n’est pas seulement une variable économique : elle est aussi un déterminant central de la puissance géopolitique. Une nation peuplée, c’est une nation qui compte.
C’est entre autres parce que l’Allemagne est aujourd’hui le pays le plus peuplé du continent européen qu’elle en est la plus grande puissance.
La bataille qui se joue entre les Israéliens et les Palestiniens est aujourd’hui avant tout une bataille démographique. Et le journaliste Stephen Smith a récemment démontré, dans son livre La ruée vers l’Europe, que la démographie africaine, extraordinairement dynamique, assurait à ce continent un rôle central dans le siècle qui vient. C’est la raison pour laquelle les gouvernements se sont toujours beaucoup occupés de promouvoir la natalité, par exemple, en France, cette préoccupation a donné lieu à la mise en place des allocations familiales. En effet, comme le montre Michel Foucault dans ses Cours au Collège de France, à l’ère moderne la politique se fait biopolitique, et la croissance de la population, ainsi que sa santé, font désormais partie des objets sur lequel la politique s’exerce.
Une planète de 9 milliards d’habitants
Seulement voilà. Cette promotion de la natalité et d’une démographie dynamique est remise en question par de nombreux penseurs écologistes.
Faire des enfants est bon pour la croissance, mais la croissance est-elle bonne pour la Terre ? Si nous considérons que les ressources de celles-ci, ressources végétales, animales, minérales, sont en voie d’épuisement, ne faut-il pas tenter de mettre un frein à la natalité ?
L’un des avocats les plus éminents de cette position était Claude Lévi-Strauss. Voilà ce qu’il écrivait en 2005 dans le Nouvel Observateur : « La population mondiale comptait à ma naissance 1,5 milliard d'habitants. Quand j'entrai dans la vie active, vers 1930, ce nombre s'élevait à 2 milliards. Il est de 6 milliards aujourd'hui, et il atteindra 9 milliards dans quelques décennies, à croire les prévisions des démographes. (L’humanité) aura exercé ses ravages sur la diversité non pas seulement culturelle mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d'espèces animales et végétales. De ces disparitions, l'homme est sans doute l'auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n'est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l'explosion démographique (et qui) devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces biens essentiels que sont l'espace libre, l'eau pure, l'air non pollué. » Levi-Strauss s’inquiétait donc que le monde ressemble de plus en plus à un immense bidonville, sous l’effet de la croissance démographique.
Aujourd’hui, des scientifiques travaillant sur le climat développent les mêmes réflexions.
On sait aussi que l’un des premiers effets du développement économique et de l’alphabétisation des femmes est la diminution du nombre d’enfants. Toutes ces questions méritent d’être posées, et d’être débattues car la réponse n’est pas facile à trouver. C’est à ce débat indispensable que le tweet de l’AFP nous invitait, avec hélas une grande maladresse.
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