Ces éternelles questions

Ces éternelles questions
Ces éternelles questions ©Getty - CSA-Images
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L'actualité réactive ces questions éternelles : peut-on rire de tout ? Faut-il séparer l'homme de l'artiste ? Est-il interdit d'interdire ? Personne ne peut y répondre. Pourquoi ces questions reviennent-elles, et pas d'autres ? Quels sont les critères pour qu'une question devienne éternelle ?

Pendant les vacances, j’ai eu l’occasion de me poser de vraies questions, vous savez celles qui reviennent sans cesse et auxquelles je parie que 2020 n’échappera pas : comme, par exemple, peut-on rire de tout ? Ou : faut-il séparer l’homme de l’artiste ? Ou encore : est-il interdit d’interdire ?… Et tant d’autres. A la fois cruciales et épuisantes, ces questions en amènent une autre : pourquoi, encore et toujours, ces éternelles questions ? 

Pas mathématique

Polanski, Gauguin, Céline, Woody Allen… Les exemples ne manquent pas pour sortir de son chapeau l’éternelle question de la séparation entre l’homme et l’artiste. Soyons honnêtes : on n’en peut plus... Mais soyons honnêtes aussi : personne n’a la réponse.
Si Bruno Solo, l’acteur qu’on vient d’entendre, est capable de dire que “de fait” cette séparation existe, je suis tout autant capable de lui répondre que, “de fait”, une personne ne se coupe pas en deux, avec une moitié homme / une moitié artiste. 

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Alors, certes, je suis capable, aussi, de voir ce qu’a voulu dire Bruno Solo et j’ai expérimenté le fait simultané de trouver un film de Polanski génial et de me dire que c’était un mec dégoûtant. Bon. Quand se pose cette question ou une autre comme “peut-on rire de tout”, on est de toute façon pris au piège : le contexte, l’interlocuteur, la critique, l’époque, la concession, l’expérience, nos valeurs… Tout ceci fait qu’on ne sera pas constant sur le sujet... 

A moins d’adopter une position de principes, je mets au défi quiconque de m’y apporter une réponse absolue, valable de tout temps, implacable, vérifiable, comme on pourrait me démontrer que 2+2 font 4. Voilà le problème : ce genre de question n’est pas mathématique. D’où le fait qu’elle soit reposée, qu’un moindre événement la réactive, qu’on trouve à en redire. Mais pourquoi certaines questions reviennent et pas d’autres ? Pourquoi revient “peut-on rire de tout”, et pas une belle question philosophique comme “pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien” ? 

Comment fonctionne une éternelle question 

Aurais-je été collabo ou résistant ? Sommes-nous seuls dans l’univers ? Les goûts sont-ils dans la nature ? Est-il interdit d’interdire ? Ou faut-il coucher le premier soir ?... Y aurait-il des questions qui mériteraient, par essence, d’être reposées, des questions types ? Mais alors : comment fonctionnent-elles ? A quoi ressemble ce qu’on pourrait appeler une “éternelle question” ? 

En examinant ces “éternelles questions”, je me suis rendue compte qu’elles avaient en commun : 1° de ne pas être mathématiques, et 2° d’être tout autant générales que particulières, allant de l’astronomie aux choix intimes.
Pourtant, si on regarde bien, si ces questions sont étendues, elles ne sont pas pour autant ouvertes : elles n’appellent qu’un oui ou qu’un non, ou un choix entre deux éléments (du type : la poule ou l’œuf). 

J’en déduis donc ce paradoxe : pour devenir éternelle, une question doit brasser large mais réduire les possibles, elle doit avoir l’apparence d’une question mais pas la profondeur qu’elle appelle, elle doit laisser penser qu’on dialogue quand on ne fait que juxtaposer des avis. Autrement dit : l’éternelle question nourrit et pourrit en un geste le débat. 

Et si c’était de bonnes questions 

Le problème, c’est que montrer comment fonctionne une éternelle question ne résout pas le problème de sa fréquence.
Je me demande sincèrement : pourquoi reviennent-elles ? Par manque d’originalité ? Parce que ça flatte nos egos de penseurs sans trop nous engager ? Ou, parce qu’elles seraient, malgré nos ricanements, de vraies bonnes questions ?
C’est une hypothèse, car elles semblent les seules capables de faire parler les plus taiseux, autant pour dire des bêtises que pour développer de bons arguments. Voire les deux en même temps.
Pour finir, j’ai moi aussi une éternelle question : en 2020, pourra-t-on créer de nouvelles éternelles questions ? 

Sons diffusés :

  • Europe 1, émission L’équipée sauvage du 19 novembre 2019
  • Sketch de Pierre Desproches, 1984

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