Culture, aéroports et oreilles : épisode 2/2 du podcast La rentrée en philo

Rentrée littéraire des essais 2019
Rentrée littéraire des essais 2019 ©Getty - Luis Alvarez
Rentrée littéraire des essais 2019 ©Getty - Luis Alvarez
Rentrée littéraire des essais 2019 ©Getty - Luis Alvarez
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Esprit, morale, métaphysique, architecture et musique : la rentrée philo habite l’époque et nos têtes.

La semaine dernière, je vous ai fait un petit tour d’horizon des sorties philo de la rentrée.
Alors que les grands thèmes qui se dégagent des 257 essais parus ou à paraître, sont l’écologie, l’intelligence artificielle, l’éducation, la religion et les gilets jaunes, la philo, elle, se démarque en misant sur l’indignation et le divertissement.

Le Journal de la philo
5 min

Mais il m’a semblé que m’en tenir à ces deux thèmes et tonalités était insuffisant.
À regarder plus attentivement cette rentrée philosophique, on voit que celle-ci ne se contente pas de se pencher sur l’époque, sur ses traits saillants, son état d’esprit, ses travers, mais qu’il y a aussi toute une tentative plus spatiale, plus matérielle, d’habiter l’époque : où vivons-nous, quelle est l’architecture de nos vies, qu’est-ce qui peuple nos existences, quel rapport au monde pouvons-nous entretenir, ou tout simplement, qu’y a-t-il dans nos têtes ? 

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Culture et métaphysique : ce qu’il y a dans nos têtes 

L’éducation mais d’abord la culture : dans Quelque chose dans la tête(Flammarion), Denis Kambouchner, spécialiste de Descartes, s’interroge sur ce qu’est transmettre, mais il s’interroge avant tout, dans une première partie sur ce qu’on a dans la tête : idées claires, images, opinions, de quoi est faite notre intelligence ? Qu’est-ce qui (nous) prend la tête ? Quelle culture déployer et construire pour chacun d’entre nous ? 

À côté de cette philosophie de l’esprit qui ausculte la matière qui habite nos têtes, on retrouve, dans les parutions de cette rentrée, d’autres partitions classiques de la discipline : philosophie morale avec Etre quelqu’un de bien, philosophie du bien et du mal, de Laurence Devillairs (PUF) qui fait son apologie des gentils, épistémologie avec Jean-Marc Ferry qui manipule la texture du réel ( Qu’est-ce que le réel ? éditions Le bord de l’eau), ou philosophie métaphysique, celle-ci se voyant réhabilitée avec le Manifeste métaphysique de Raphaël Liogier et Dominique Quessada (LLL). Manifeste écrit sur un mode presque pamphlétaire, il brandit la métaphysique, ringardisée par la fin du XXème siècle, comme la pensée de l’insoumission, s’opposant aux monuments dogmatiques, identitaires ou institutionnels. 

Aéroports et bâtiments : ce qu’il y a dans nos habitats

Réinvestir des champs oubliés comme la métaphysique malmenée ou explorer de nouvelles terres, c’est aussi ce qu’on rencontre avec En escale, chroniques aéroportuaires de Bruce Bégout ( Philosophie Magazine éditeur).
Le philosophe, accoutumé au quotidien et aux espaces communs, a expérimenté les aéroports : lieux de transit, de passage, sans chez-soi possible, de quoi sont faits ces lieux que l’on traverse ? Peut-on dire qu’on les habite ? Comment et pour qui sont-ils construits ? 

De quoi sont faits les lieux où l’on vit, c’est aussi tout le sens de l’impressionnante Philosophie de l’architecture de Ludger Schwarte (Zones) qui pense l’espace comme une des conditions de possibilité de la démocratie. Architectonique du pouvoir, espace public et occupation révolutionnaire informent cet essai de philosophie politique qui mise sur la structure géospatiale de nos engagements. 

Accents et musiques : ce qu’il y a dans nos oreilles 

Enfin, une autre manière d’habiter le monde ou de voir de quoi est fait notre esprit est une manière plus esthétique.
Sons, musiques, bruits, quelle est la voix de la pensée, quels sont ses accents, ses échos, ses cris, ses murmures ?
C’est le sujet du très beau livre de François Noudelmann, Penser avec les oreilles ( Max Milo).
On y apprend ainsi que Nietzsche a préféré la Carmen de Bizet à Wagner, que Derrida a tué son accent pour entrer dans la parole neutre, ou que Thoreau aimait écouter les cloches des églises environnantes.
Au fil des pages, apparaît ainsi que la pensée pour être sérieuse n’a pas besoin d’être muette, blanche ou neutre.
On espère que ces essais feront donc grand bruit dans les semaines à venir.