À une semaine de la Saint-Valentin, l'amour s'impose. Le développement personnel l'enrobe de citations philosophiques et mise sur l’idée qu'il doit s’apprendre. Mais "apprendre à aimer", qu'est-ce que ça signifie ? Qu'en dit Hobbes ou Aristote ? L'amour est-il passion ou vertu ?
En prévision du 14 février et de la Saint-Valentin, c’est tout naturellement que j’aimerais vous parler d’amour. Comme partout, l’amour a une grande place dans le développement personnel : mis à toutes les sauces et enrobé au besoin par des citations de philosophes, au point de laisser penser qu’ils sont tout droit sortis d’un courrier du cœur…
Pourquoi pas d’ailleurs, j’adorerais que des philosophes éclairent mes peines de cœur… mais que faire quand on ne retient, par exemple, de Platon que cette phrase "chacun cherche sa moitié" (en référence au discours d’Aristophane dans le Banquet) ou de Camus : "Je ne connais qu’un seul devoir, c’est celui d’aimer".
Dit comme ça, ce n’est pas très éclairant… pourtant, à lire ou à écouter les coachs, l’amour mériterait justement quelques lumières, quelques connaissances et astuces pour prendre et durer, on devrait même, paraît-il, "apprendre à aimer"…
Savoir aimer ou dire "Je t’aime" ?
Je sais, c’est très facile, dès que l’on prononce ces trois mots, c’est bien sûr cette chanson de Florent Pagny Savoir aimer qui nous en vient en tête. On l'a tous entendue, aimée ou détestée. Mais l’a-t-on vraiment écoutée ? Interrogée ? On croit que ce qui s’y dit est évident. Mais est-ce si évident ? Avez-vous appris à aimer, vous ? Où et quand ? Quels cours avez-vous suivi ?
Si j’y pense vraiment, je crois que la chanson de Florent Pagny m’a en fait toujours laissée perplexe, c’était peut-être d’ailleurs voulu de sa part. Peut-être a-t-il voulu attirer l’attention sur cet amour qui n’a rien d’évident. Mais pourquoi ? Pourquoi l’amour ne serait-il plus une chose évidente ? J’aime mes parents, par exemple, je ne l’ai pas appris ou alors sans le savoir…. Pareil pour ma fille ou mes amis. Pour moi, l’amour, ça ne s’explique pas, ça s’impose… Pourquoi serait-il désormais une question d’apprentissage ou de savoir ? N’est-il plus suffisant de dire, comme Lara Fabian, un simple "Je t’aime" ?
Que manque-t-il à l’amour ?
Le développement personnel mise bien sûr sur l’idée que l’amour doit s’apprendre, sinon il n’aurait plus lieu d’être… Mais il faut se poser la question vraiment : si l’on ne peut plus se contenter de l’amour qui vient puis disparaît, qui s’impose, qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire "apprendre à aimer" ?
À mon sens, cette injonction recouvre trois présupposés :
- d’abord, l’idée que l’amour ne serait pas abouti à l’état naturel, on est ici dans une vision hobbesienne des rapports humains où ce qui nous définit serait d’abord l’égoïsme et non l’amour
- ensuite, l’idée que l’amour doit être appris car il serait de nos jours perdu, c’est ici la critique antimoderne : l’amour, comme tout, c’était mieux avant : on s’aimait plus et de manière désintéressée
- et enfin, l’idée que l’amour doit s’apprendre au risque, sinon d’aimer mal, trop vite, de manière trop individualiste, trop superficielle et trop fragile, c’est ici la critique qu’on pourrait trouver, je dirais, chez un Guy Debord ou un Jean Baudrillard, rejetant notre société d’images et de consommation.
Art d’aimer, idéal à atteindre, objet à rebours de ce qui fait notre époque, l’amour qui s’apprend est le contraire de la passion qui s’impose, c’est la vertu intemporelle, qui se réfléchit, s’éprouve, c’est-à-dire de ce que l’on met à l’épreuve…
Trop de clichés
Au fond, l’amour qui s’apprend correspond à la définition très classique, comme vertu, que pourrait en donner Aristote lui-même. Et j’ose le dire : je ne crois pas être d’accord avec lui. Je ne crois pas que l’amour soit une vertu, une disposition de l’âme qui se cultive et permette de fabriquer, d’améliorer, de rendre une relation durable. Fabriquer, améliorer, rendre durable… on dirait qu’il est question d’électroménager.
Mais je ne crois pas non plus que l’amour ne soit que passion, spontanéité, mystère. Au fond, le problème de cette idée d’apprendre à aimer, c’est qu’elle ne fait que reconduire l’éternelle alternative entre l’amour passion et l’amour vertu. Or, il n’est souvent ni l’un ni l’autre… le drame est là : c’est dur d’admettre que l’amour n’est ni fou ni raisonnable, c’est dur d’admettre que l’amour n’est pas un cliché.
Sons diffusés :
- Générique de la série Les feux de l’amour
- Chanson de Florent Pagny, Savoir aimer
- Chanson de Lara Fabian, Je t’aime
- Vidéo Youtube de David Lefrançois, 29 novembre 2015, « Apprendre à aimer »
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