

De Platon à Foucault, pourquoi cette identification de la prison à la peine et à la punition ?
C’est une journée spéciale aujourd’hui sur France Culture à l’occasion des 10 premiers mois de présidence d’Emmanuel Macron. SNCF, fake news ou Europe, les sujets sont multiples pour se demander où en est-on et où va-t-on… Mais ce qui m’a intéressé, c’est la grande réforme pénale que le Chef de l’Etat a présenté la semaine dernière, le mardi 6 mars. Dans le viseur notamment : la surpopulation carcérale, des surveillants pénitentiaires à bout (avec plusieurs mouvements de grève en janvier), et surtout le sens de la peine : pourquoi encore et toujours la prison ?
Des peines plus adaptées, comme le déclarait la Garde des sceaux, Nicole Belloubet le 17 janvier, mais aussi la fin de "l'automaticité" de la prison pour les peines de moins d'un an et la possibilité d’être effectuées en dehors de la prison, ou encore la création de prisons ouvertes pour les détenus en fin de peine… les mesures sont là pour redonner, comme l’entend Emmanuel Macron, du sens à la peine.
Donner du sens à la peine, c’est une question qui n’a eu de cesse de traverser la philosophie et toutes les questions portant sur la justice : comment punir à la mesure d’un délit ? Comment décider d’une peine à la mesure de la faute commise ? A chaque délit, sa peine ? Mais, ce qui est frappant, c’est que de Platon à aujourd’hui, le sens de la peine était celui de la prison.
Socrate, déjà, questionne le fait d’être puni mais pas la peine qu’il endure, à savoir la prison, refusant de s’évader, comme lui propose Criton. De la même manière, Aristote interroge la juste mesure entre la faute et la peine, mais envisage bien la prison comme une peine nécessaire. On peut aussi penser à quelques tours et donjons au Moyen-âge, à l’utilitariste Bentham et son dispositif du panoptique qu’il propose à son gouvernement à la fin du XVIIIème, au philosophe des Lumières Beccaria qui privilégie la prison à la peine de mort (c’est déjà ça, c’est dans Des délits et des peines), ou encore à l’observation du système pénitentiaire des Etats-Unis, prétexte du voyage outre-Atlantique de Tocqueville qui s’interroge plus sur les normes et les déviances que sur la prison elle-même.
Entre fascination, miroir de la société, moindre mal mais privation adéquate et nécessaire de liberté, la prison fait donc un carton en justice. Seul, à noter : le droit romain qui semble l’ignorer (et préfère la réduction en esclavage)… et bien sûr, plus récemment :
C’est bien évidemment à Michel Foucault, avec Surveiller et punir, en 1975, que l’on doit une réflexion sur la prison et son lien inquestionné avec la peine : peut-on punir un délit, un crime, une faute autrement qu’avec une incarcération ? Ce qui est soulevé ici, c’est bien cette identification de la prison à la peine et à la punition. Mais il se joue aussi une autre identification, elle aussi laissée de côté : celle de la peine et de la punition. Peut-on punir sans peine ? Faut-il faire souffrir celui qui a fait souffrir pour que justice soit rendue et que la faute soit expiée, pardonnée et corrigée ?
La prison comme réponse systématique et automatique au délit et au crime laisse entendre que seule la privation de liberté, mais aussi l’exclusion, l’enfermement, la surveillance et la réduction d’un mode de vie à son minimum, c’est-à-dire la souffrance infligée en retour, puissent rendre justice. Apparaît alors avec la prison une dimension non seulement juridique mais morale de la punition : souffrance contre souffrance. Mais souffrance pourquoi, et surtout, contre quoi, contre qui, contre quel mal ?
Foucault note encore cette substitution, avec la généralisation de la prison, de l’amélioration du coupable à l’expiation de la faute. De l’objet du délit et du crime au sujet malade, la punition, la peine et la prison seraient devenues ce cercle vertueux, doté d’ambitions perfectionnistes… Et c’est bien cela redonner du sens à la peine : c’est rompre ce cercle et le soumettre, lui, à la question, c’est se demander jusqu’où perfectionner un individu revient d’abord à la société et à l’Etat, et si cela passe nécessairement par une peine et l’enfermement, et pas plutôt par l’effort, l’action ou la participation.
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