Ralentir, s’arrêter… oui, mais comment ? Allongé ou debout ? Figure et éloge de l’immobilité avec le philosophe Jérôme Lèbre.
Puisque nous sommes vendredi, je vous propose dès maintenant, à 10h et 50 minutes passées, de vous arrêter. Vous en avez envie ? Vous rêvez de ne RIEN FAIRE, EN-FIN, après une semaine de travail ? C’est le moment parfait, arrêtez tout !…
Mais voilà, tout arrêter, est-ce aussi simple et facile ? Faites-en l’expérience ou rappelez-vous simplement votre dernier jour de congé : n’avez-vous vraiment rien fait ? Ne vous êtes-vous pas agité et activé, n’avez-vous pas bougé ? Comment donc réussir à marquer des arrêts, des pauses, des stations ? C’est tout l’art de s’immobiliser, que propose le philosophe Jérôme Lèbre dans un essai…
Quand la littérature s’immobilise
Avant d’évoquer le livre de Jérôme Lèbre, il faut le rappeler : en littérature, au cinéma et en philosophie, les réflexions et les figures fourmillent pour évoquer cette idée de s’immobiliser. C’est L’homme qui dort de Georges Perec, que l’on en a entendu en version cinéma, c’est Alexandre le bienheureux, c’est Oblomov de Gontcharov, c’est l’oisiveté de Montaigne ou de Russell, c’est le droit à la paresse de Paul Lafargue, ou bien avant, c’est le loisir des temps antiques. Et plus récemment, et sous de multiples formes, ce sont des revendications de changement de rythme, de déconnexion du monde qui va trop vite, des prières à l’ennui, des envies de repli, ce qu’on entend par « slow life ».
C’est d’ailleurs fou de remarquer que les pensées et les appels au ralentissement voire à l’arrêt dessinent non seulement une définition mouvante et plastique de l’immobilité, mais peuvent sembler aussi de plus en plus nombreux et parfois même pressants : s’arrêter serait devenu une chose à faire, comme on coche une case dans une liste, ou même LA chose à faire, la tendance du moment… Mais peut-on considérer l’immobilité comme une tendance, à voir le monde autour de nous, et comme une tâche de plus à accomplir ?
La demande est paradoxale et l’accomplir est encore plus difficile. Car oui : ne rien faire implique, en fait, un énorme effort : celui de faire face aux critiques de l’immobilisme, celui de faire face à ce que l’on redoute : être empêché, stoppé, paralysé (que l’on pense au vocabulaire du travail : on est « arrêté » ou on a un « avancement »), et enfin, le plus gros des efforts : celui de faire face à soi, de rentrer en soi.
Contre l’immobilisme et pour l’immobilité
Ce que dit dans cette archive l’écrivain-voyageur Nicolas Bouvier résonne avec tout ce que l’on entend au fond par « immobilité », à savoir l’immobilisme, ou l’immobilité forcée (celle de la prison, des bancs d’école où l’on est obligés d’écouter et des Prométhée enchaînés), sans entendre tous les possibles de l’immobilité… Comme le rappelle Jérôme Lèbre : celle scientifique, éthique et politique, de l’inertie, de la méditation, de la résistance ou du repos.
Mais à côté de tous ces possibles de l’immobilité, que l’on peut déjà connaître, que l’on peut même déjà avoir pratiqué, à côté de toutes ces activités immobiles qui nous révèlent que ne rien faire, c’est en fait un effort, c’est un engagement, et que, paradoxalement, ce n’est pas rien faire, eh bien, à côté de tout cela, de tout ce qui nous pousse à valoriser et à prôner l’arrêt et à nous allonger, Jérôme Lèbre insiste, lui (et c’est ce qui le distingue de ce que l’on entend d’habitude), sur une chose, sur une dimension, sur une figure de l’immobilité : être debout.
Arrivez-vous à être debout sans bouger, sans remuer ? Avez-vous déjà essayé d’être statique ? C’est pourtant la manière, la seule, d’être immobile : pas de paresse, pas d’oisiveté, pas un loisir… Mais l’idée de se tenir, d’être immobile dans le mouvement, sans s’agiter, de se maintenir à soi et pour soi, sans vouloir s’absenter de soi (comme quand on dort, quand on résiste politiquement, ou quand on médite). Et de citer ces mots : « statique, statique, statique ! soyez statique ! le mouvement est statique ! parce qu’il est la seule chose qui ne change pas ».
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