

Mai 68 promettait l’émancipation… au point de devenir « addict » à l’indépendance ?
Le livre de Patrick Pharo, Le capitalisme addictif, paru aux éditions PUF, ne porte pas uniquement sur Mai 68 mais il en part et il pose la question : qu’est devenu le projet d’émancipation formulé en 68 ? Alors qu’était promise une libération à l’égard de toute forme d’autorité, qu’en est-il aujourd’hui ?
De quoi sommes-nous dépendants, si ce n’est plus (en tout cas, moins) aux fausses promesses politiques et à l’immobilisme des traditions ? Pour répondre à ces questions, Patrick Pharo part de films, énormément, j’en ai sélectionnés trois, qu’il cite, voici le premier.
Le diable probablement est un film de 1977 de Robert Bresson. Dans la droite ligne de 68, il suit un groupe de jeunes écologistes épouvanté par la bombe atomique. Et dans la droite ligne des revendications politiques, ce groupe veut, sur un versant intime, je cite, « ne pas être forcé à remplacer un vrai désir par des faux désirs calculés d’après des statistiques et des sondages ».
Mais admettre ses pensées, ses amours, ses envies, être déculpabilisé vis-à-vis de son corps, de ses jouissances et de ses souffrances, est-ce être indépendant ? N’est-ce pas être, du coup, dépendant de ses désirs ? Par un retournement, une perversion même sur laquelle jouent les mécanismes du capitalisme, ce qui était une promesse d’émancipation se serait transformé en aliénation…
C’est la grande idée de Patrick Pharo : à la servitude, combattue en 68, se serait substituée la dépendance, pire (ou mieux) : la dépendance à l’indépendance. Mais comment comprendre une telle addiction et collective en plus ? A quoi ressemble une société addict ? Réponse avec un 2ème exemple de film.
A quoi sommes-nous accros ? Sommes-nous tous drogués et jusqu’où ? Jusqu’à quel manque ? Wall Street, première version en 1987, le film d’Oliver Stone est pour Patrick Pharo est un bon exemple de notre addiction à l’argent et de la course pour l’obtenir. Mais à l’argent, on pourrait aussi ajouter le sport intensif, les nouvelles technologies, les troubles alimentaires, la surconsommation marchande…
En fait, on pourrait presque tout ajouter : nos comportements ont pris la forme de comportements addictifs, entraînant je cite : « des effets stimulants, euphorisants, sédatifs, qui procurent plaisir, bien-être, soulagement et envie de recommencer », mais aussi : « sensation de manque, « craving » (désir extrême), usage compulsif, élévation de la tolérance, sevrage douloureux, conséquences négatives pour soi-même ou les autres… ».
Comment s’émanciper de ce qui repose précisément sur l’émancipation, sur la libération de notre désir ?
Comment s’émanciper de l’indépendance ? Comment faire quand les conséquences négatives pour les autres sont en fait les mêmes pour tout le monde, quand elles sont insensibles pour tous ? Mais surtout, être addict à l’indépendance, est-ce si grave ?
Le troisième et dernier film que j’ai choisi et qui est cité : c’est Alice au pays des merveilles. La reine rouge ou reine de cœur y est l’exemple parfait de la violence, avec ses cris et ses ordres, qui s’amplifie mais fait pourtant du sur-place. Elle est l’exemple parfait du processus de la dépendance : qui augmente mais qui ne s’achève pas et ne se satisfait jamais.
Les drogues, l’alcool, les écrans, le shopping… peu importe, seul compte l’usage : excessif mais stagnant, jamais satisfaisant. Comment donc user sagement de l’indépendance ? Comment non pas se sevrer, mais modifier l’ordre de ses désirs pour continuer ainsi à les libérer ?
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