"Force et malheur" de Simone Weil : épisode • 2/10 du podcast #découvrirlesclassiques

La philosophe Simone Weil (1909-1943)
La philosophe Simone Weil (1909-1943) - Wikicommons
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Force et malheur sont deux concepts clés chez la philosophe Simone Weil, deux facettes d’une même pièce : la force cause le malheur, et le malheur est causé par la force. Mais sans force, comment sortir du malheur ?

Les éditions La Tempête ont réuni dans une très jolie édition tout un ensemble de textes de la philosophe Simone Weil. Le titre qui les rassemble est Force et malheur.
Loin d’être des concepts abstraits, Simone Weil en a fait l’expérience, la guerre bien sûr, c’est la Seconde Guerre mondiale dans laquelle elle s’est engagée aux côtés de la France libre du Général de Gaulle, mais avant cela, dans les années 30, entre son agrégation de philosophie et avant sa révélation divine, à travers l’expérience ouvrière dans une usine.  

Les Chemins de la philosophie
58 min

Le mystère du malheur 

Qu’est-ce que le malheur ? À rebours de toute une tradition philosophique qui s’interroge sur le bonheur, Simone Weil décide de se demander ce qu’est le malheur.
Comment le définir ? Comment touche-t-il les hommes ? Comment les transforme-t-il ? 

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Pour le savoir, à la fin de l’année 1934, elle décide de travailler en usine pour comprendre ce qu’est la condition ouvrière.
Ce qui l’anime, ce n’est pas seulement de comprendre ce qu’est « en vrai » et sur le terrain l’aliénation, la domination, le capitalisme et sa production en masse.
Ce qui l’anime, c’est de comprendre au sens propre, de saisir à bras le corps, jusque dans sa chair, ce qu’est la condition ouvrière pour ensuite pouvoir la dire. 

Dans une lettre ouverte à Jules Romains, huit ans plus tard, elle écrit ainsi : 

La première difficulté à vaincre est l’ignorance. Au cours des dernières années on a bien senti que les ouvriers d’usine sont en quelque sorte déracinés, exilés sur la terre de leur propre pays. Mais on ne sait pas pourquoi. Se promener dans les faubourgs, apercevoir les chambres tristes et sombres, les maisons, les rues, n’aide pas beaucoup à comprendre quelle vie on y mène. Le malheur de l’ouvrier à l’usine est encore plus mystérieux. Les ouvriers eux-mêmes peuvent très difficilement écrire, parler ou même réfléchir à ce sujet, car le premier effet du malheur est que la pensée veut s’évader ; elle ne veut pas considérer ce qui la blesse

« Ignorance » et « mystère », Simone Weil a touché du doigt le problème du malheur : celui de ne pas être connu, dicible. Il y a un problème mais on ne peut pas le nommer. 

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L’impuissance de la force 

Quant à la force, voici ce qu’en dit Simone Weil à partir du poème de l’Iliade :

Le vrai héros, le vrai sujet, le centre de l’Iliade, c’est la force. La force qui est maniée par les hommes, la force qui soumet les hommes, la force devant quoi la chair des hommes se rétracte. L’âme humaine ne cesse pas d’y apparaître modifiée par ses rapports avec la force ; entraînée, aveuglée par la force dont elle croit disposer, courbée sous la contrainte de la force qu’elle subit. (…) La force, c’est ce qui fait de quiconque lui est soumis une chose. Quand elle s’exerce jusqu’au bout, elle fait de l’homme une chose au sens le plus littéral, car elle en fait un cadavre. Il y avait quelqu’un, et, un instant plus tard, il n’y a personne

Que faire face à la force qui nous rend malheureux ? Et que faire face au malheur qui fait ployer notre force ? Comme on l’a dit, la force et le malheur vont de pair chez Simone Weil, l’une conduit à l’autre et l’autre annihile la première.
Comment donc sortir de ce cercle infernal ? Sans les mots, sans la connaissance, sans les moyens physiques, que reste-t-il ? Comment faire quand on ne peut pas faire ?

À la toute fin de sa lettre à Jules Romains, Simone Weil déclare que l’on ne peut pas rendre heureux les hommes, mais que l’on peut tenter « de ne pas contraindre aucun d’eux à s’avilir ». C’est l’autre grande « force » si je puis dire de Weil : d’une part, parler de malheur et non de bonheur, mais aussi, d’autre part, ne pas vouloir être volontariste, dans la force, dans la réponse. Ni détruire, ni construire, mais seulement comprendre, dire et révéler ce qui ne l’était pas du malheur et de la force, là serait une partie du remède. 

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