Georges Bataille et ses Courts écrits sur l’art

Grotte de Lascaux II
Grotte de Lascaux II ©AFP - JEAN DANIEL SUDRES / AURIMAGES
Grotte de Lascaux II ©AFP - JEAN DANIEL SUDRES / AURIMAGES
Grotte de Lascaux II ©AFP - JEAN DANIEL SUDRES / AURIMAGES
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A l’occasion de la parution des Courts écrits sur l’art de Georges Bataille, demandons-nous : que dire sur l’art ?

Rediffusion du 11/12/2017 

Il y a une semaine, j'évoquais les discours des Prix Nobel de littérature comme autant de morceaux de philosophie de l’art. Aujourd'hui, c'est encore de philosophie de l'art dont je vais vous parler, mais à l'occasion de la parution du recueil de Courts écrits sur l'art de Georges Bataille, aux éditions Lignes. 

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Ecrire sur l'art, le projet semble vaste voire impossible... car, cela a-t-il déjà un sens de parler de l'art en général ? Ne faut-il pas parler plutôt des œuvres d'art ? Et voici que revient cette classique question de philosophie : entre exigence du concept qui unifie et réalité multiple des arts et des œuvres, comment faire ? 

Il faut justement quelqu'un comme Georges Bataille pour trancher cet éternel dilemme de l'art, des arts et des œuvres... Quelqu'un comme lui, capable de parler d'art en partant d'un exemple aussi simple que celui de la trompette guerrière... Et c'est bien ce que l'on découvre à travers ses Courts écrits sur l'art, qui sont autant d'exemples pris : il ne parle pas d'art, comme ça, abstraitement, en l'air, mais à travers des exemples : Van Gogh, Hemingway, ou Goya... 

Comme le rappelle Georges Didi-Huberman qui signe la préface de ce recueil : Bataille n'écrit  donc pas « sur » l'art, comme en surplomb et pour embrasser d'un coup d'œil l'art en entier, mais « depuis les œuvres d'art »... Mais quand on n'est pas d'artiste, quand on n'est pas Van Gogh ou Hemingway, que dire « depuis les œuvres d’art » ? Et que dire quand on n'est pas non plus critique, que l'on n'a pas prétention à produire un jugement de spécialiste ? Plus que le statut de Bataille pour parler d'art, c'est donc celui du spectateur qui se pose ici, et c'est la question que l'on se pose tous, spectateurs d'œuvres d'art : qu'en dire et à quel titre ? 

On doit à Bataille un des seuls textes sur l'art préhistorique et les grottes de Lascaux. Dix ans après leur découverte, en 1953, il écrit un texte où il pose précisément cette question de la place du spectateur devant ces peintures : où se situe-t-il ? Ni critique ni philosophe ni artiste, le spectateur se retrouve dans ces grottes, un peu déçu, un peu impressionné, mais surtout paralysé : que dire de ces peintures d'hommes qui nous ressemblent à des milliers d'années près ? 

Bataille a très bien saisi ce sentiment qui naît dans l'œil du spectateur : Lascaux n'est pas que la naissance de l'art, c'est la naissance du sentiment esthétique en chacun, flou et imprécis. Sentiment esthétique qui ne doit rien au plaisir, ni à la théorie, ni à l'utilité, mais qui se contente de lui-même et se déploie au fur et à mesure de l'œuvre contemplée ou même créée sous ses yeux... 

Drôle d'aventure la création mais aussi la contemplation d'une œuvre... Car, si parler d'art n'a pas de sens en tant que tel, parler de son regard, subjectif, de son sentiment, à soi, face à une œuvre, n'en a peut-être pas pour les autres... Sauf à voir dans ce regard et dans ce sentiment, non pas forcément quelque chose qui se communique (comme pour le jugement esthétique dont parle Kant), mais quelque chose de nous, de nous tous. 

Bataille décelait ainsi dans l'architecture la physionomie d'un peuple, dans les musées le reflet extatique de l'homme, dans une façade un sourire humain, dans les bas-reliefs mayas le sang du sacrifice... Le trait commun à tous ces courts écrits sur l'art, comme à toutes les œuvres d'art, c'est qu'on peut y voir quelque chose de nous : et ce quelque chose de nous, c'est, à lire Bataille, les figures défigurées de l'humanité.