Iris Murdoch : parler en son nom : épisode 3/4 du podcast Quatre femmes philosophes prennent la parole

Iris Murdoch
Iris Murdoch ©Getty - Sophie Bassouls
Iris Murdoch ©Getty - Sophie Bassouls
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Si la parole des femmes se libère dans la sphère publique, est-ce le cas en philosophie ? Comment, en tant que femme, prendre la parole et se présenter en philosophe, au-delà du genre ? Peut-être en suivant les traces d'Iris Murdoch, penseuse d'une éthique portée vers l'autre...

Un problème pour prendre la parole

Alors que la parole des femmes se libère dans l’espace public, on peut espérer qu’elle se libère aussi dans l’espace philosophique… Je dois dire que dans mon parcours scolaire et universitaire, je n’ai jamais travaillé sur une seule femme philosophe, pas même les plus connues comme Simone de Beauvoir ou Hannah Arendt… 
Personne, rien… pourquoi ? Question de programmes ? Question de corpus ? Choix du professeur ? Il y a toujours cet argument qui consiste à dire qu’on ne va pas évoquer un texte écrit par une philosophe seulement parce qu’il a été écrit par une femme, c’est l’éternel débat de la discrimination positive, du quota, que l’on retrouve dans les palmarès culturels, les festivals de cinéma ou la politique. 
Il y a aussi celui auquel nous sommes confrontés ici, sur une émission comme les Chemins de la philosophie : c’est celui des invitées qui ne se sentent pas légitimes, ou moins, en tout cas, qu’un autre collègue, pour venir parler d’un sujet qu’elles connaissent cependant. 
Pourtant, à ces arguments, une réponse est facile : les philosophes médiocres, eux, n’ont aucun problème : ni de légitimité ni de présence dans l'espace scolaire ou médiatique. Autrement dit, ils n’ont aucun problème à prendre la parole. 

Parler à quel titre ?

Une question toute simple : comment prendre la parole ? Ça a l’air un peu bête dit comme ça, trop simple ou trop large, et pourtant… la prise de parole, ce n’est pas seulement la donner ou bien vouloir l’accorder à quelqu’un, ce n’est pas seulement faire entendre sa voix ou écouter toutes les voix… 

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Ce n’est donc pas qu’une question de parole, c’est aussi une question de "prise", c’est le fait de s’emparer, de se saisir.
Mais qu’est-ce que ça veut dire "prendre" la parole : qui la prend ? Et à quel titre ?
Pour y répondre, j’aimerais évoquer la philosophe écrivaine Iris Murdoch.

Iris Murdoch, née en 1919 et morte en 1999, est d’abord connue pour ses romans qui déploient toute une littérature de l’absurde. 
Elle a pourtant été l’élève de Wittgenstein et la première commentatrice anglo-saxonne de Sartre avec son livre Sartre : romantique rationaliste (éditions Payot), elle a aussi développé une éthique inspirée par les antiques Aristote et Platon, une éthique portée vers l’autre, et pas enfermée dans la conscience, dans l’ego, de soi seul, comme elle a pu le reprocher à Sartre. 

Le nom d'Iris Murdoch 

Longtemps, Iris Murdoch a été pour moi un nom un peu énigmatique, je croyais même que c’était le nom d’un personnage de roman policier.
Quand j’ai découvert qu’elle était philosophe, les bras m’en sont tombés, comment avait-elle pu m’échapper ? Il m’est alors apparu ce fait : la prise de parole des femmes philosophes est souvent masquée par leur présentation, par la manière dont on les présente et dont on les rend donc présentes. Quelle ironie : même en les rendant visibles, on obscurcit leurs personnes, leurs noms, leurs œuvres.

Iris Murdoch est ainsi présentée comme romancière ou commentatrice, Angela Davis comme militante, Germaine de Staël comme femme de lettres… comme si être philosophe était toujours secondaire quand on présentait pourtant des philosophes.
Pourquoi ? Ce n’est pas qu’une affaire de psychologie, de confiance en soi, ou de politique, d’égalité des sexes, c’est une affaire philosophique : la présentation permet à un sujet de se constituer comme tel, capable de prendre la parole en son nom, comme auteur responsable, légitime, pensant d'une oeuvre.
Reste alors cette question : comment se présenter en son nom propre, et pas comme femme (ou homme) pour être lue, écoutée, enseignée ou critiquée comme n’importe quel philosophe ?