Avez-vous déjà voulu connaître les raisons d'une mauvaise note ou d'un échec ? C'est le cas de Marc Veyrat, chef cuisinier, qui, ayant perdu sa troisième étoile, attaque en justice le guide Michelin. Mais que peut apporter une telle révélation ? Par l'échec, peut-on s'accomplir ?
Ce n’est pas l’info du siècle, mais elle a quand même retenu mon attention : le chef cuisinier, Marc Veyrat, a décidé d’attaquer en justice le guide Michelin afin de connaître les raisons de son déclassement, son restaurant
La Maison des Bois ayant perdu sa troisième étoile en janvier dernier.
Ce faisant, Marc Veyrat accomplit quelque chose de fou à mes yeux : il réalise ce que chacun d’entre nous a sûrement voulu faire un jour : découvrir les raisons précises d’une mauvaise note, d’un entretien d’embauche raté, et même pourquoi pas d’une rencontre manquée.
Que peut apporter une telle découverte ?
Le sentiment d’injustice
De loin, l’affaire Marc Veyrat peut faire sourire : voilà un grand chef étoilé qui ressemble à un enfant vexé, outré, qui veut en découdre et passer devant un tribunal pour réparer son profond sentiment d’injustice…
Mais qui n’a jamais ressenti cela : ce profond sentiment d’injustice justement face à un jugement qui nous semblait illégitime ? Face à un verdict qui nous semblait injustifié ? Face à un échec décidé et imposé par un autre que nous ?
Opacité de la notation, refus de ne plus faire figurer le restaurant dans le guide Michelin, propos diffamatoires (Marc Veyrat déclare ainsi que les inspecteurs "ont osé dire qu’il y avait du cheddar dans le soufflé de reblochon, beaufort et tomme"). On peut en rire, comme je l’ai fait en lisant cette citation, mais les griefs contre le célèbre guide gastronomique sont en fait très sérieux. Car ils pointent deux problèmes qui nous concernent tous :
- d’abord, celui du jugement qui se réduit à une note, qui prend la forme très formelle d’un classement, qui tombe d’un coup, sans explications, sans justifications, sans critères connus, visibles, sans transparence
- ensuite, le problème d’être jugé sans le vouloir et d’y prendre part malgré soi. Car une fois jugé, comment faire pour s’en débarrasser ? Peut-on être indifférent à ce qui est dit sur soi ?
Mauvaise note
On a tous connu ça : une mauvaise note, une mauvaise critique, un flop, un bad buzz, un plat raté, arriver en deuxième position, une plante verte qui ne grandit pas, la fin d’une histoire d’amour.
La mauvaise note est le symbole de tous ces échecs, petits ou grands, plus ou moins importants, on en connaît parfois les raisons, mais elle nous semble toujours manquer l’essentiel, ne pas tout dire, dissimuler la cause ultime de l’échec.
Pourquoi, là, ça n’a pas marché ? Pourquoi en suivant la recette, j’ai pourtant échoué ? Il faut se rendre à l’évidence, il y a un mystère de la mauvaise note.
On aura beau connaître les critères du jugement, on aura beau avoir des explications, quelque chose de l’insatisfaction résistera.
Autrement dit, avoir une réponse sur les causes et les motivations de notre mauvais jugement, c’est-à-dire avoir une réponse au premier problème que j’ai soulevé, ne répare en rien la déception qu’il cause.
Là apparaît le véritable drame de la mauvaise note (et de Marc Veyrat) : connaître les causes de notre déclassement ne résout en rien le problème du sentiment d’injustice. Alors comment faire avec ?
S’accomplir en ratant
On peut fustiger notre époque, celle où tout le monde se note, se like, s’auto-promeut, on peut en vouloir aux institutions et à leur fonctionnement opaque voire incompétent, comme le dit Marc Veyrat, mais il y a quelque chose qui reste et que dit très bien cette affaire de guide Michelin : c’est cette attention à ce qui nous atteint, l’attachement à ce qui nous défait.
Je me suis souvent posé la question en ressassant de mauvais commentaires sur les réseaux sociaux, ou en repensant de temps à autre à mon 7 sur 20 à l’épreuve de lettres au bac. C’est assez cliché de dire que l’on ne se fait pas sans l’autre et son jugement, que l’échec nous éprouve, mais il y a quelque chose de plus ici : le fait de se constituer à travers quelque chose d’injuste, qui nous blesse, qui nous déchire.
Au fond, on fait toujours avec ce sentiment d’échec, de déclassement, de mauvaise note, d’injustice : parfois même on l’entretient, on le chérit, on l’exhibe, on le met en scène. Il y a même des loosers magnifiques, des victimes grandioses.
C’est tout le paradoxe : il faut avoir une grande ambition pour s’accomplir et briller grâce à des torts et des ratés.
par Géraldine Mosna-Savoye
Sons diffusés :
- Interview de Marc Veyrat, France 3, juillet 2019
- Vidéo Youtube de JuriXio, 1er avril 2018
- Extrait de la série Black Mirror, Saison 3, Episode 1, Chute libre
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