

Saint-Valentin oblige, aujourd'hui on parle d'amour ! Mais quand évoque cette fête, une question se pose : comment en est-on venu à marchandiser l’amour, le sexe, les sentiments et les émotions ?
On peut objecter que la Saint-Valentin n’a rien à voir avec l’amour, que c’est une fête commerciale et que les sentiments, eux, ne se monnaient pas… Vous aurez raison de le penser, vous aurez d’ailleurs la même réflexion que la plupart des essais qui paraissent sur le sujet.
La question est d’autant plus légitime que quand on parle d’amour, ce qu' on a en tête, ce sont plus des textes qui en parlent ainsi :
L’amour-passion et l’amour-vertu
C’est en 1822 que Stendhal publie son essai De l’amour.
Pour une fois, l’auteur de La chartreuse de Parme ne veut pas passer par la fiction pour parler d’amour, mais par l’idée, à la manière des idéologues, comme Condillac et Destutt de Tracy. Ce qu’il veut en effet, c’est élever ce sentiment à la hauteur de la généralité, en faire une analyse psychologique et sociologique.
En cela, sa démarche est assez révélatrice de l’approche qui a prévalu à l’époque moderne : l’amour est alors appréhendé comme une passion dont il s’agit de démêler les causes, les rouages et les effets. On peut ainsi penser aux Passions de l’âme de Descartes ou à l’Ethique de Spinoza qui distingue les passions joyeuses des passions tristes.
Là est l’essentiel : analyser l’amour comme une passion, d’une part comme l’objet qui affecte le sujet et comme l’état passif, d’autre part, dans lequel se trouve le sujet transi.
Mais les choses étaient bien différentes avant : pour les Antiques, l’amour s’analysait sur le mode de l’essence. Qu’est-ce que l’amour ? D’où vient-il ? Est-il d’essence divine ou humaine ? Est-il un vice ou une vertu ? Ou encore, comment le distinguer de la sexualité, de l’amitié et du bonheur ? Moins romantique comme approche, l’amour n’en restait pas moins une disposition de l’âme dont il s’agissait de faire bon usage…
Et enfin, loin de là, il y a l’amour aujourd’hui : à lire les essais actuels, ni vertu ni passion, il serait devenu une valeur, et pas n’importe laquelle, une valeur marchande…
Dans les filets du capitalisme
Comment en est-on arrivé là ? Comment l’amour est-il arrivé là, à être utilisé pour vendre du Coca et des burgers, et comment en est-il arrivé à être symbolisé par le partage d’un gobelet à deux pailles ?
C’est la question qui anime l’essai du philosophe américain Michaël Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter, paru en français en 2014 au Seuil : l’amour est certes soumis aux lois du marché, mais le devrait-il ? N’est-il pas une valeur inquantifiable, n’est-il pas une sphère incompatible avec le capitalisme ? La thèse de Sandel est morale : l’amour doit être, selon lui, préservé des logiques marchandes.
Mais, on peut invoquer, à l’inverse, l’éthique minimale du philosophe Ruwen Ogien : en matière de corps, de relations et d’amour, seul devrait prévaloir la liberté individuelle, un droit moral envers soi-même, que l’on choisisse de monnayer ou pas une relation.
Mais entre ces deux positions sur l’amour, peut-on et doit-on vraiment choisir ? Est-on totalement libre quand il s’agit d’amour et peut-on complètement protéger l’amour des logiques actuelles ?
Ce sont les observations de deux essais tout juste parus. Le premier, Eros capital, de François de Smet, l’affirme : il est tout autant illusoire de croire que l’amour échappe aux lois du marché que de dire que la liberté est totale quand on tombe amoureux.
L’amour absolu existe-t-il ?
Le deuxième essai est un ouvrage collectif paru sous la direction d’Eva Illouz, paru aux éditions Premier Parallèle. Avec son titre, Les marchandises émotionnelles, il dit bien sa thèse : à une époque de rationalité, les émotions sont devenues dans le même temps des marchandises ultra-présentes, des cartes de vœux payantes aux playlists spéciales Saint-Valentin.
D’une certaine manière, les essais les plus actuels saisissent l’amour comme un objet rationnel, soumis à des logiques économiques ou morales. Bien loin de l’amour-passion ou vertu qui nous agite, nous affecte, nous touche absolument, pour lui-même, il serait devenu un biais, un moyen pour atteindre autre chose que lui-même, qu’il s’agisse de l’enrichissement du capital ou d’un enrichissement moral.
La question est alors là : l’amour peut-il être absolu, ne valoir que pour lui-même, ou n’est-ce là qu’une illusion ?
Sons diffusés :
- Lecture De l’amour de Stendhal, France Culture, Le livre de chevet, 1967
- Publicité Burger King
- Jackie Gleason, Music for lovers only
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