

Après des siècles d’interrogation sur le bonheur, les philosophes se penchent sur l’échec : nouvelle question ou simple mode ?
La philosophie doit-elle nous conduire au bonheur ? Alors que, depuis l’Antiquité, les philosophes se sont interrogés sur cet état tant désiré et convoité, on constate aujourd’hui une tendance inverse : la propension des philosophes à se questionner sur l’échec. L’échec serait-il devenu le nouvel horizon philosophique, un nouvel objet d’étude qui manquait cruellement à la réflexion, ou une simple mode?
En finir avec le bonheur
Qu’est-ce que le bonheur ? Est-ce réussir sa vie, comme le chante Bernard Tapie en 1985 ? Est-ce un état ou un horizon ? Un désir ou le propre de l’homme ? Comment atteindre le bonheur ? Par un travail sur le monde ou sur nous-mêmes ? Le bonheur se trouve-t-il au terme d’une quête tel un trésor, un bien, ou est-il une affaire de transformation de soi ?
Ces questions sur le bonheur sont tout à fait classiques, Epicure, Spinoza, Kant, et beaucoup d’autres, y ont réfléchi, elles sont au programme de philosophie des élèves de terminale, de la définition du terme à ses diverses théories.
C’est comme si le bonheur était la finalité de toute vie, passant à côté de tous ces moments médiocres ou ratés qui la rythment, hélas, plus souvent, et sans lesquels le bonheur aurait surtout moins de saveur. C’était la critique de Charles Pépin dans son livre paru en 2016, Les Vertus de l’échec ( éditions Allary).
Bonheur nocif et bienfait de l'échec
Ces questions, classiques, sur l’idée du bonheur ont aussi pris une tournure quotidienne et beaucoup moins réflexive… c’est la critique cette fois-ci de la sociologue Eva Illouz…
Dans Happycratie, co-écrit avec le psychologue Edgar Cabanas, et tout juste paru aux éditions Premier Parallèle, Eva Illouz dénonce ces « marchands de bonheur » qui, en quelques recettes vous promettent la béatitude, et surtout : qui matraquent le bonheur sans laisser à chacun et à tous de se questionner sur cette recherche et cette injonction.
D’où cette vague de réflexion et de réflexivité des penseurs aujourd’hui, demandant « qu’est-ce que le bonheur ? », certes, mais pointant surtout ce problème : à quoi bon le bonheur ? Ou pour le dire encore autrement : n’y a-t-il pas plutôt du bon dans le mauvais, dans les échecs, le malheur et l’infortune ?
Sur ces paradoxes d’un bien nocif et d’un bienfait de l’échec, on a cité Charles Pépin, Eva Illouz, on pourrait aussi citer les ouvrages qui promeuvent la fragilité ou le doute, ou toute cette série d’articles paru dans Le Monde cet été sous le titre « Surmonter les épreuves », avec les contributions géniales de la philosophe Claire Marin (qui explique en quoi la rupture amoureuse peut être l’occasion d’affirmer une nouvelle identité) ou celle de Pierre Zaoui (qui réfléchit, pour sa part, sur le mot de Beckett « Echouer mieux »). Mais pour la mienne, c’est la voix d’un autre, habitué au désespoir, que je voulais aussi citer et vous faire entendre…
L'échec est-il le nouveau bonheur ?
Vous l’avez reconnu ? Il me semblait qu’évoquer Emil Cioran n’était pas inutile ici… Mais au fond on pourrait se demander : à critiquer le bonheur et à vouloir cultiver son envers, tel l’échec, ne tombe-t-on pas dans l’écueil inverse, à savoir promouvoir une autre forme d’idéal de rapport à soi, d’authenticité, et même de bien-être qui passerait cette fois-ci par le malheur ?
Ma question est double : le malheur est-il devenu le nouvel horizon des philosophes, susceptible de récupération, de faire écran aux autres questions et aux illusions nécessaires à la vie ? Et surtout n’est-il pas qu’un moyen pour atteindre le bonheur, encore lui ? C’est une question double, mais surtout éternelle : est-ce à la philosophie de nous conduire au bonheur, même en passant par le malheur ?
EXTRAITS :
- Bernard Tapie, Réussir sa vie (1985)
- Eva Illouz, entretien dans l'émission La grande table, France Culture, août 2018
- Emil Cioran, entretien avec Michael Jakob (1989)
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