

Peut-on faire un éloge de l’hypocrisie sans s’attaquer à la vérité ? L’essai d’Olivier Babeau réactive cette lutte…
Un éloge, aujourd’hui : un éloge de l’hypocrisie, cet éloge n’est pas de moi, mais d’Olivier Babeau, et vous pouvez le découvrir depuis début mars aux éditions du Cerf. Le propos est clair : il s’agit de promouvoir l’hypocrisie contre la dictature actuelle de la transparence et de la surveillance, contre, je cite la 4ème de couverture, « la grande farandole des gens honnêtes ». Autrement dit, ce livre se veut un hommage au plus célèbre des hypocrites… Tartuffe.
Comme Cléante le dit dans la pièce de Molière : faisons la distinction entre hypocrite et dévot, entre le masque et le visage, entre la vérité et l’apparence. De la même manière, Olivier Babeau, dans son livre, reprend cette même distinction entre ce qui relève du faux et ce qui relève du vrai, mais, à l’inverse, il prend parti, on l’aura compris, pour le 1er.
Ce livre se veut même un pavé dans la mare en cette époque de « puritanisme », qu’il s’agisse (attention, ça va loin) : des usagers des réseaux sociaux attachés à « tout » montrer d’eux, des fondamentalistes musulmans, des passionnés de l’égalité et de la transparence, ou des féministes avec leur écriture inclusive…
Cet éloge de l’hypocrisie, on l’aura compris aussi, a plus des allures de tribune politique sur notre époque, que de réflexion philosophique… mais il soulève cette question : est-il possible de défendre l’hypocrisie, le faux, le masque, sans pour autant partir en guerre contre la vérité et rejouer l’éternel face-à-face avec elle ?
Le parti-pris d’Olivier Babeau avec l’hypocrisie n’est pas nouveau (il ne prétend d’ailleurs pas l’être) : les libertins et les jeux de masque, l’homme de cour de Baltasar Gracian, Machiavel et l’importance du paraître pour le chef, Aragon et le mentir-vrai dans la fiction, et puis, comme on vient de l’entendre, Proust et les mensonges…
Chacun peut s’accorder sur les bienfaits, et même la nécessité de l’hypocrisie : art du vivre-ensemble, plaisir de raconter et d’embellir, refuge à l’abri duquel se reposer et possibilité de s’inventer. A part Rousseau (à qui de très bons critiques se sont déjà attaqués), peu pense qu’il faille, et qu’on puisse, tout montrer de soi ou tout dire à l’autre. Mais la question se pose : y a-t-il une passion de la vérité, éternelle ou exacerbée aujourd’hui, qui est nécessairement l’ennemie du mensonge ? OU pourrait-on envisager d’aimer et la vérité et l’hypocrisie, de pratiquer à la fois l’une et l’autre ?
C’est le paradoxe d’une défense de l’hypocrisie : prétendre détenir la vérité sur elle, en dire tout le vrai et la défendre absolument alors qu’elle supposerait, par définition, nuance, tâtonnements et prudence…
Avec Tartuffe et Proust, Frankenstein est une autre des références utilisées par Olivier Babeau dans son livre : Frankenstein, c’est la machine humaine faite monstre, le rêve d’un homme lisible, cohérent, mécanique, qui se retourne contre l’homme faible, trouble, nuancé, menteur. Encore une fois, le sempiternel combat entre le vrai et le faux.
Kant et Constant l’avaient eux-mêmes incarné dans une querelle à livres ouverts… mais ils étaient l’un contre l’autre, les arguments de l’un prenaient sens et corps à la lumière de l’autre. C’est ainsi l’autre paradoxe d’un éloge de l’hypocrisie, seule : ne pas tenir compte qu’elle n’est pas opposée à la vérité, mais qu’elle a, au fond, quelque chose de vrai, qu’elle dit quelque chose de vrai, du besoin de ne pas se montrer, de ne pas tout dire, etc…
Hypocrisie et vérité vont toujours à deux, mais elles ne sont pas forcément opposées. C’est plutôt un couple qu’il faut sans cesse rééquilibrer.
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