L’identité est-elle une question de grammaire ?

Le meilleur des mondes
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« Je » suis ceci, « je » suis cela… mais qui est ce « je » qu’on dit sans cesse ? Réponse en sujet / verbe / complément avec deux essais.

L’identité est-elle une question de grammaire en philosophie ? C’est ce que l’on est tenté de croire en découvrant ces deux livres dont les titres semblent se répondre : « Je », une traversée des identités de Clotilde Leguil (paru aux PUF) et Le complément de sujet de Vincent Descombes (publié en 2004, mais qui ressort aux éditions Gallimard). « Je » et complément, voici donc l’identité déclinée en un programme grammatical. Mais jusqu’où est-elle réductible à des éléments de linguistique ? Jusqu’où peut-on la décomposer en sujet / verbe / complément, en « parties du discours » (ce qui est la définition ordinaire de la grammaire) ? 

Le meilleur des mondes, la dystopie d’Aldous Huxley, que Clotilde Leguil évoque au cours de son livre, permet de poser la question 1ère : avant de se demander si l’identité est décomposable, autant se demander ce qu’il faut avant tout entendre par « je » : est-ce ce « je » qui pense, qui juge et agit ; est-ce le soi, le moi, de l’intimité et de la subjectivité ; ou est-ce encore l’ego, l’individu narcissique contre le reste du monde ? 

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Et ce « je » est-il bien ce sujet qui est mis en péril dans une société future (ou déjà présente) uniformisée, aseptisée et collectivisée ? Est-il aussi ce sujet qui a été tant critiqué pour sa position moderne de toute-puissance (moi, moi, moi d’abord et avant tout) ? 

Clotilde Leguil et Vincent Descombes, pour leur part, tiennent bien à ce « je », à ce sujet, mais ils partent aussi de tous ces mouvements qui, volontairement ou pas, le font disparaître. Vincent Descombes relève ainsi « l’entreprise démystificatrice » du structuralisme (qui a fait du sujet une illusion d’optique), celle, aussi, qui consiste à faire du sujet un être jamais seul et toujours en dialogue (Habermas), ou encore celle qui consiste à rappeler sa finitude (Ricœur). Clotilde Leguil, de son côté, relève la tendance paradoxale de la globalisation : des « je » transparents mais qui clament pourtant leur identité, des sujets tout-puissants mais tous pareils.

Et c’est la question : pourquoi tant tenir à un « je » qu’on parvient si peu à dire, trop faible ou trop puissant, et qui semble tant exacerber la tendance à l’individualité mondialisée ? Pourquoi donc vouloir redonner une voix, au moins, grammaticale à ce sujet tant contrarié ?  

Qu’est-ce qui pose au fond problème avec le « je », avec le sujet ? L’identifier. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans Pas de printemps pour Marnie, de Hitchcock, ou l’exemple, selon Clotilde Leguil, d’un « je », d’un sujet, Marnie en l’occurrence, mais qui n’a pas d’identité. En fait, le problème du sujet et du « je », c’est de vouloir les identifier, de vouloir à la fois leur donner une définition fixe et les ramener à une question d’identité. Or, donner la parole au « je », ce n’est pas forcément l’identifier, ce n’est pas nécessairement le replier sur une identité, c’est seulement le faire parler. Et c’est la thèse de Clotilde Leguil, celle d’un « je » psychanalytique qui parle… 

Mais peut-on vraiment dire « je » sans savoir qui l’on est ? Faut-il savoir qui l’on est, en avoir conscience, pour pouvoir être un sujet et « agir de soi-même » ? Là est la question de Vincent Descombes. Et 

sa réponse est bien celle d’un complément du sujet : pourquoi s’en tenir au « je », quand le « je » n’est jamais seul et immobile, mais toujours en acte : il pense, il devient, il s’oblige, il agit, il aime… 

Etonnamment, ramener l’identité à une question de grammaire, c’est la dépasser et c’est en faire ressortir la parole et l’action, le « je » et le sujet.