Comment définissait-on la folie avant la psychiatrie et quels remèdes inventait-on pour la soigner ?
La folie, un objet fuyant
La folie avant la psychiatrie paru aux éditions Odile Jacob, rassemble des écrits d’une dizaine d’experts sous la direction de Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine.
Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine sont respectivement neuropsychiatre et psychiatre. Ils sont surtout, tous deux, des auteurs à succès, leurs ouvrages ayant largement contribué à donner accès au grand public aux mystères de cette science de l’âme dont l’invention est, en réalité, assez récente, puisque le terme de psychiatrie a été introduit pour la première fois seulement au début du XIXème siècle. L’ambition de l’ouvrage est là : comment a-t-on pensé la folie pendant des siècles avant que n’émerge la psychiatrie comme discipline ?
La première difficulté, soulignée dès l’introduction, c’est que le mot « folie » ne désigne pas un véritable objet qui serait le même, quelle que soit l’époque ou la culture.
Par exemple, dans les années 40, les guerres et les conditions de travail étaient tellement violentes qu’on valorisait la violence des hommes. On admirait les hommes violents, on les décorait quand ils faisaient la guerre ou qu’ils descendaient au fond des mines pour travailler 15h par jour.
Aujourd’hui, le contexte a radicalement changé. Quand un homme est violent, on appelle le SAMU ou la police et on considère souvent la violence comme une forme de maladie mentale.
En réalité, désigner quelqu’un comme étant sous l’emprise de la folie, c’est désigner son étrangeté, son inadaptabilité, son statut hors normes. Le soigner, c’est le remettre sur le droit chemin. Le calmer quand il est anormalement agité, lui prescrire des médicaments lorsqu’il voit ou il entend des choses que nous ne voyons pas ou n’entendons pas.
Petite histoire des pratiques
Au paléolithique, les solutions étaient bien différentes, celui qui se mettait à convulser ou délirer était jugé possédé et on s’emparait alors d’un silex pour trépaner son crâne et permettre à l’esprit envahisseur de s’échapper. À l’époque où nous étions chasseurs-cueilleurs, on pensait plutôt que tous les maux physiques et psychologiques venaient de l’ingurgitation d’une substance ou d’un être vivant maléfique. Il fallait donc à tout prix l’expulser via des potions rituelles qui entraînaient vomissement et diarrhées. Ainsi les époques se suivent et ne se ressemblent pas. Quand on a inventé les horloges et les automates, les souffrances psychiques ont été assimilées à des défauts de rouages cérébraux. Quand la chimie a connu sa grande expansion scientifique, on a attribué la folie à un mauvais fonctionnement des fluides. Quand l’électricité a été découverte, on a jugé que les hallucinations provenaient de court-circuit dans certaines zones cérébrales. Tout au long de notre civilisation les interprétations de la folie et les remèdes à lui apporter n’ont cessé de varier. L’objet de la psychiatrie est donc infiniment hétérogène.
Grande histoire de la folie et de ses remèdes
C’est ce que l’ouvrage, sous la direction de Cyrulnik et Lemoine, montre avec brio. L’histoire de la folie avant la psychiatrie, c’est l’histoire de toutes les manières folles que l’on a trouvé, à travers les âges, pour soigner la folie. Dans le premier chapitre intitulé « La psychiatrie est-elle une branche folle de la médecine ? », Boris Cyrulnik raconte que la volonté d’expliquer la folie par la médecine remonte à Hippocrate. Cependant les remèdes apportés n’ont pas toujours été des plus convaincants : cataplasmes à la moutarde, bains chauds, douches froides, chocs physiques ou encore sels d’ammoniaque, tout était bon à prendre pour calmer la substance cérébrale. C’est à Danielle Jacquart, ensuite, que revient de raconter la condition du fou au Moyen-Âge. Contrairement à une idée largement admise, l’époque médiévale admettait assez bien, à côté des explications magiques de possession par des démons, des explications beaucoup plus rationnelles ou plutôt raisonnables et proposait parfois des solutions autres que l’exorcisme. Jacques Hochmann, lui, raconte l’invention de cette pseudoscience qu’est la phrénologie, théorie selon laquelle les bosses du crâne d'un être humain reflètent son caractère. Dans un autre chapitre, tout à fait passionnant, Patrick Clervoy retrace l’histoire de la stérilisation des malades mentaux, appuyée sur des travaux scientifiques qui n’ont été contredits que trop tardivement dans l’histoire. Puis c’est à Gérard Ostermann de se pencher sur l’étrange et terrible destin des anorexiques, en montrant que la maladie n’a rien d’un mal contemporain et qu’elle a pu atteindre, sous forme d’ascèse, des mystiques à l’époque médiévale. Comprendre l’anorexie ne revient donc pas seulement à accuser l’époque, mais contraint de puiser dans des constantes anthropologiques profondes. S’en suivent d’autres chapitres, tout aussi intéressants, sous la plume de Patrick Lemoine, Pierre Lemarquis, Pierre Lamothe, Jean Furtos et Stéphane Mouchabac qui traitent de la théorie des humeurs, de Mesmer, du mythe du criminel-né, de l’internement des dissidents antisoviétiques dans des hôpitaux psychiatriques, du cas des suicides des paysans dans l’État du Kerala, en Inde, dans les années 2000 ou encore de la place accordée à l’intelligence artificielle dans le diagnostic psychiatrique. On ressort complètement déboussolé de ce livre foisonnant d’histoires à peine croyables. L’Histoire de la folie avant la psychiatrie, parue chez Odile Jacob, parle en réalité plus des défaillances culturelles que des souffrances psychiques. L’immense mérite de l’ouvrage est qu’il permet de s’interroger non seulement sur le passé, mais aussi sur l’avenir de la psychiatrie.
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