La fonction cathartique d'Halloween

La fonction cathartique d'Halloween
La fonction cathartique d'Halloween ©Getty - susan.k.
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Aujourd'hui nous célébrons Halloween, une fête étrangère à nos traditions qui correspond à un besoin humain de jouer à se faire peur. À quoi tient cette présence de l’horreur dans nos vies, dans nos lectures, dans nos divertissements, dans nos rêves, et dans nos fêtes ?

Jouer à se faire peur

La fête d’Halloween est principalement célébrée dans le monde anglo-saxon, notamment aux Etats-Unis, mais elle gagne de plus en plus la France, où, s’il n’est pas encore courant de voir des enfants courir d’un appartement à l’autre, déguisés en monstres et réclamant des bonbons, il est en revanche devenu fréquent de se faire inviter à des soirées costumées.
Il est vrai que chez nous, la tradition consistait plutôt, le 1er novembre, à fêter la Toussaint, et, le lendemain, à aller fleurir la tombe des membres de sa famille. Raison pour laquelle l’Eglise catholique a longtemps été hostile à la diffusion en France de cette fête païenne, trop païenne.
Et pourtant, cette fête si étrangère à nos traditions correspond, semble-t-il, à un besoin humain très profond, qui est celui de jouer à se faire peur.
L’homme est l’animal qui a la capacité de rêver, mais aussi celle, très surprenante, de cauchemarder. En effet, rien ne paraît plus absurde et inexplicable que ce phénomène que cette torture que le cerveau nous inflige en nous faisant faire des cauchemars. Pire encore ! Nous passons parfois des nuits de terreur et sommes prêts à réitérer l’expérience à la lumière du jour en allant nous enfermer dans des salles de cinéma pour regarder des films d’horreur. 

Triomphe de l’horreur

D’ailleurs l’industrie du film d’horreur ne s’est jamais aussi bien portée ! En témoigne la sortie sur les écrans, la semaine dernière, du film Halloween, un remake du classique de John Carpenter de 1978. Dans ce film, vous vous en souvenez, une petite ville américaine était terrorisée, la nuit d’Halloween, par un tueur psychopathe masqué qui s’était évadé d’un asile où il avait été placé parce qu’il avait tué sa grande sœur.
En réalité, depuis quelques années, Hollywood a découvert que le cinéma d’horreur était l’un des derniers genres qui pouvait ramener les adolescents américains dans les salles de cinéma, d’où la production et le succès de films comme Get out, It, ou encore plus récemment La Nonne.
Mais le succès de l’horreur ne se limite pas aux salles de cinéma. Les séries télévisées d’horreur sont légions, des Walking Dead à Stranger Things ou la toute dernière série The Haunting of Hill House. On redécouvre également des classiques de l’horreur, non seulement les films des grands cinéastes officiels, Kubrick, Polanski, Hitchcock, mais aussi les séries B, les films de vampire, de zombies, ceux de Dario Argento ou de Mario Bava. Netflix vient d’ajouter Shining à son catalogue. On célèbre les 200 ans de Frankenstein, inventé par la romancière Mary Shelley. Bref, l’horreur est partout. Elle nourrit même l’œuvre de ceux qui ne s’y cantonnent pas. Michel Houellebecq a écrit son premier livre sur le romancier Lovecraft, dont il dit qu’il a été aussi important pour lui que Dostoïevski. Emmanuel Carrère, dont nous parlions la semaine dernière, a commencé sa carrière en écrivant des articles pour Positif sur le mythe de Frankenstein au cinéma. Ce n’est pas ici sur France culture que nous apprendrons aux auditeurs que les « mauvais genres » sont désormais reconnus comme partie intégrante de la culture. Kafka lui-même n’était-il pas, sous une forme sophistiquée, un écrivain d’horreur ?

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Fonction cathartique

Alors à quoi tient cette présence de l’horreur dans nos vies, dans nos lectures, dans nos divertissements, dans nos rêves, et dans nos fêtes ? La réponse se trouve peut-être chez Aristote. Parlant, dans sa Poétique, du genre noble, s’il en est, de la tragédie, le philosophe la définit par cette phrase qui a fait couler beaucoup d’encre : « La tragédie, au moyen de la terreur et de la pitié, opère la purgation (en grec : catharsis) de ces mêmes passions. » Cette phrase a été abondamment commentée et interprétée, et il ne nous appartient pas ici d’en donner le sens définitif. Mais l’on comprend tout de même que la tragédie nous fait éprouver des sentiments de terreur et de pitié ; et qu’en les éprouvant dans le cadre d’une représentation théâtrale, nous sommes moins amenés à les éprouver dans le reste de notre vie, nous sommes en quelque sorte apaisés. Les cauchemars ou les films d’horreur semblent aussi relever de cette catharsis : ils sont comme un grand égout pour notre esprit, qui se purge à travers eux de la violence de ces passions. Cette purgation serait un besoin humain, qui expliquerait notre passion pour le fait de jouer à se faire peur.

Une spécificité anglo-saxonne ? 

Cela étant dit, il nous faut tout de même remarquer que l’horreur semble un genre bien plus anglo-saxon que français. Les grands succès récents du cinéma d’horreur attirent beaucoup moins de spectateurs chez nous qu’outre-atlantique. Même nourris à l’oeuvre de Lovecraft ou de Philip K. Dick, les écrivains français écrivent des ouvrages réalistes où le surnaturel n’intervient pas, et où l’horreur, si elle existe, est bien plus quotidienne, psychologique. Et la fête d’Halloween, malgré tout, n’a pas conquis la France. Il y a un fantastique français, souvent de très grande qualité, mais il est moins mainstream, si l’on nous permet l’expression, que dans le monde anglo-saxon. Nous préférons les drames réalistes pour purger nos passions. S’agit-il là d’un reste de notre fameux cartésianisme ? À vous de juger.