La paresse comme péché capital apparaît bien tard... Le péché originel c’est l’acédie, cet état de lassitude du moine, d’inquiétude du cénobite face à l’apparente inutilité de sa vocation. Aujourd'hui, qu'est-ce que la paresse ?
Paresse et acédie
Nous l’avons dit dans notre épisode inaugural, la paresse comme péché capital apparaît bien tard.
Le péché originel, c’est l’acédie, cet état d’apathie, de lassitude du moine, d’inquiétude du cénobite face à l’apparente inutilité de sa vocation comme l’expliquent Carla Casagrande et Silvana Vecchio dans leur Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge. L’acédie est donc d’abord un vice monastique, c’est la tristesse qui empêche toute contemplation selon Cassien et qui décline en oisiveté, somnolence, inquiétude, vagabondage de l’esprit, verbosité et curiosité. Faiblesse du corps pour les uns, faiblesse de l’âme pour les autres, l’acédie laïque est différente de la monastique : oisiveté, indolence, paresse, amertume, ennui sont plus visibles et plus blâmables que la tristesse du moine. L’acédie se transforme alors en paresse et en mélancolie. Au fond, elle ressemble de très près à ce que les psychiatres appellent aujourd’hui la dépression ou le trouble maniaco-dépressif. Or entre le péché et la maladie, la différence est immense, la volonté ne pouvant véritablement s’exercer que sur la seconde. Quand on parle de mélancolie, impossible de ne pas évoquer la gravure de Dürer qui représente la Mélancolie sous l’aspect d’un ange féminin, aux ailes rentrées, au visage foncé, comme l’exigeait pour les mélancoliques la théorie des humeurs, passive, morne, comme arrêtée. Autour d’elle, quantité d’instruments de géométrie et, à ses côtés, un angelot qui, lui, s’applique à griffonner assidûment, tandis que la Mélancolie, distraite, les yeux tournés vers un ailleurs, tient mollement un compas. Tout semble crier « À quoi bon ? », « à quoi bon la connaissance si l’Apocalypse va finir par tout engloutir ? », « à quoi bon vivre dans un monde déterminé par sa finitude ? ». C’est la perte de l’espoir qui est au cœur de la mélancolie et qui pousse à la paresse.
Vivre dans son lit
En littérature, la grande figure du paresseux est incarnée par Oblomov dans le roman de Ivan Gontcharov. Je vous lis un extrait : « Chez lui, Oblomov ne portait jamais ni cravate ni gilet ; il aimait être à l’aise, se sentir libre. Ses pantoufles étaient longues, moelleuses et larges. Quand, assis sur son lit, il laissait pendre ses jambes, immanquablement, sans qu’il eût même à regarder, ses pieds s’y glissaient tout seuls. » Puis, un peu plus loin : « La position allongée n’était pour Ilia Ilitch ni nécessaire, comme pour un malade ou pour un homme qui veut dormir, ni accidentelle, comme pour une personne fatiguée, ni voluptueuse comme chez le fainéant ; c’était son état normal. Quand il était à la maison – et il y était presque toujours – il demeurait couché, et toujours dans cette chambre où nous l’avons trouvé, qui lui servait de chambre à coucher, de cabinet et de salon. Il était rare qu’il mît les pieds dans les trois autres pièces. » Tolstoï et Dostoïevski considèrent que le roman est une œuvre capitale. De là naît l’oblomovisme, la flemme de vivre, l’inaction structurelle. On pense à l’Oblomov dégénéré qu’est Jeffrey Lebowski, appelé The Dude, dans le film The Big Lebowski des frères Coen. Le Dude ne fait que fumer des joints et jouer au bowling. Mais contrairement à Oblomov qui souffre de sa paresse et qui considère tout de même que sa fainéantise est une tragédie, The Dude, lui, est un désoeuvré heureux et assumé. Tout comme Philippe Noiret qui interprète Alexandre Gartempe dans Alexandre Le Bienheureux d’Yves Robert.
Le basculement correspond à l’époque, face au culte du travail et son emprise grandissante sur les corps sur fond d’industrialisation, la promotion de la paresse devient une dissidence. Ou quand un excès chasse l’autre !
L'équipe
- Production
- Collaboration