

Taksim, République ou Zuccotti Park, trois exemples de places publiques. Mais sont-elles des lieux démocratiques ?
Quelle place donner à la place ? C’est la question que l’on pourrait poser à travers deux ouvrages qui viennent de paraître et qui se font écho : tout d’abord, le livre de Joëlle Zask (Bord de l’eau) : Quand la place devient publique, qui interroge l’espace de la place comme lieu démocratique à partir de places réelles ; puis, l’ouvrage collectif Le livre des places (éditions Inculte), recueil de récits sur les grandes places existantes, justement, dans le monde : Tahrir au Caire, Place de la Victoire à Bucarest ou de la Révolution à Barcelone, et Taksim à Istanbul…
En 2013, la place Taksim a été le lieu, comme on l’a entendu dans ce reportage de l’époque, d’un affrontement entre peuple et pouvoirs publics, elle est apparue comme la scène d’un déchirement entre les représentants du pouvoir et de son ordre et des représentés, elle a révélé toutes les tensions sur l’espace, la spatialité, du pouvoir.
Où est-il ? Où s’exerce-t-il ? A-t-il un lieu qui fait office de décor, de fond de notre action, ou qu’il faut investir, occuper ? OU le pouvoir est-il en fait un espace fictif, mental, chacun se partageant le pouvoir qu’il a délégué à un chef ? C’est tout l’objet du livre de Joëlle Zask : se demander à quelle condition une place devient publique et à quelle condition le public rend une place démocratique.
La place Taksim permet de soulever cet ensemble de questions. Dans le beau texte qui ouvre Le livre des places, « La gravité de la place Taksim », Hakan Günday rappelle l’histoire de cet endroit : au départ, lieu de distribution de l’eau, elle devient en 1923, la place publique, choisie par la République turque, Etat et peuple d’accord… jusqu’à l’interdiction de rassemblements en 1953, jusqu’aux massacres de 1977, et 2013, donc, où depuis ce moment, la place est vide, rendue à l’eau… si elle est un lieu, sur une carte, est-elle encore une place ?
Autre place qui trouve sa place dans ces deux livres : République à Paris. Louis Malle, déjà en 1974, y avait posé ses caméras, il attendait avec son équipe que des passants curieux engagent la conversation, saisissant, sans le forcer, l’esprit de cette France sous Giscard d’Estaing. Et il ressort de ce documentaire, tout simplement, intitulé « Place de la République », l’esprit même d’une place : à la fois délimité et ouvert, passant, toujours en mouvement et fixé dans le temps, lieu de passages mais toujours là, impartial, imperturbable.
Et c’est bien tout le paradoxe d’une place : elle est là, elle prend, de fait, de la place, mais en a-t-elle une pour nous ? Et si elle en a une pour nous, affective parce qu’on y a des souvenirs, politique parce qu’on y a manifesté, social parce qu’on s’y est retrouvé…, a-t-elle pour autant une valeur démocratique ? Place publique et démocratie sont-elles synonymes ?
3ème exemple de place : Zuccotti Park à New-York qui a vu en 2011, le mouvement Occupy Wall Street. Dans cette vidéo, que l’on entend en fond, 99 personnes définissent en un mot ce mouvement. Ils ne font pas seulement de ce lieu une place, ils ne lui donnent pas seulement une place, ils y trouvent eux-mêmes leurs places, ils s’y mettent eux-mêmes en place, ils s’y tiennent et s’y maintiennent en place…
Il ne s’agit ainsi pas de savoir ce qu’est une place ou quelle valeur elle a, mais ce qui s’y passe, de ce qui s’y produit, s’y génère, qu’il s’agisse d’un marché, d’une réunion autour banc, ou d’un arbre, au milieu d’un village, comment se noue entre un lieu et un geste un ensemble d’échos répétés, collectifs et libérateurs.
L'équipe
- Production
- Collaboration
- Collaboration