

La vérité, cette notion si chère aux philosophes, que l’on étudie sous toutes ses coutures en terminale, est, en ce moment, fortement chahutée. Fake news, réseaux sociaux, complotisme, populisme ou critique, la vérité a-t-elle encore quelque chose à nous dire ?
Vérité ou mensonge ? La controverse entre Kant et Constant
Sentant le vent de la vérité tourner, plusieurs ouvrages paraissent à l’heure actuelle sur le sujet. Et il faut mentionner en premier lieu la nouvelle traduction du Droit de mentir de Kant. Court texte de 1797, dont on vient d’entendre un extrait, le Droit de mentir est une réponse à Benjamin Constant.
Tout commence par Constant qui s’oppose franchement au principe moral selon lequel : « dire la vérité est un devoir », principe défendu au départ par Kant… Et Kant, à son tour, de lui répondre : en quoi la vérité est un devoir, et quel type de devoir : inconditionnel ou circonstancié, et enfin, pourquoi un droit de mentir n’a pas de sens…
Cette controverse entre Constant et Kant est passionnante : car au fond l’enjeu est celui de ce que je dois à l’autre et ce qui permet, du coup, de fonder une communauté. Constant, pour sa part, n’envisage pas une seule seconde qu’une société soit possible en vertu du principe de vérité : le mensonge serait au contraire le moyen de se protéger soi et l’autre (on peut ainsi penser à celui qui cache quelqu’un chez lui ou tout simplement au vernis social).
Kant, à l’inverse, voit la vérité comme la condition même de tout échange réglé, moral, honnête entre les hommes, soit la possibilité même de la société.
Dissocier la politique et la vérité
Aujourd’hui, à l’ère de la parole libérée et de la défiance généralisée, que penser ou tirer de cette controverse entre Constant et Kant sur la vérité et le mensonge ? Entre la multiplication des points de vue qui se disent vrais, et en miroir, celui du fact-checking qui se veut neutre comme la vérité, comment ne pas se tromper ? Qui a raison ?
La controverse entre Kant et Constant se positionnait sur le terrain de la morale et de la politique, mais aussi dans un contexte où parler de vérité avait encore un sens. Aujourd’hui, on en parle encore, mais pour la relativiser, pour la critiquer, pour prôner la sienne contre celle d’un autre… la vérité a-t-elle alors encore un sens ?
On peut croire que non, comme en témoigne l’émergence de ce nouveau concept de « postvérité ». Et comme en témoigne la parution conjointe de deux essais qui en font leur sujet.
Le premier, celui de Manuel Cervera-Marzal, Post-vérité : pourquoi il faut s’en réjouir, est assez claire dans son titre : et si oublier la vérité était la possibilité de repenser la démocratie, de la repenser autrement qu’en termes de vérité ?
Dans « post-vérité », il y a… vérité !
Kant et Constant associaient la vérité à la politique, à la constitution et à la viabilité d’une communauté. La post-vérité peut nous appeler à dissocier ce lien, mais à quel prix et pour asseoir la démocratie sur quoi ? Peut-on jamais se passer de vérité pour croire en l’autre et en une communauté, ou pour justement pouvoir critiquer cette communauté ?
Dans son essai, Manuel Cervera-Marzal finit sur l’idée sur le lien avec la vérité ne se perd jamais vraiment, mais qu’à celle-ci, il faut substituer le vrai, les échanges vrais par exemple.
Dans un autre essai, c’est le deuxième qui paraît sur la post-vérité :
Postvérité et autres énigmes, Maurizio Ferraris analyse l’émergence de ce concept. Ni défenseur d’une hyper-vérité ou d’une hypo-vérité, il finit lui aussi sur une « théorie progressive du vrai » où il s’agit de « faire vérité », de faire éclater la vérité.
Comme quoi dans « post-vérité », il y a toujours « vérité ».
Sons diffusés :
- Lecture du Droit de mentir de Kant (1797) par Julie-Marie Parmentier, France Culture, Le Gai savoir, juin 2013
- Présentation de Decodex, outil de vérification proposés par les Décodeurs du Monde
- Conférence de presse de Donald Trump, janvier 2017
L'équipe
- Production
- Collaboration