

Le géographe Christophe Guilluy publie un nouvel ouvrage, « No Society : La fin de la classe moyenne occidentale », qui s’intéresse aux splendeurs et misères de la classe moyenne.
Classes populaires, classes supérieures
Christophe Guilluy, le nom ne vous est pas étranger. Et pour cause ! En 2014, dans son livre La France périphérique : Comment on a sacrifié les classes populaires, le géographe de formation a été le premier à dresser le constat de l’exode des nouveaux prolétaires « français de souche », autrement dit des « petits blancs », vers le périurbain profond et le monde rural. Exode qui s’est accompagné d’un décrochage idéologique, puisque cette France périphérique ne se sent plus du tout défendue par la classe dirigeante et opte, lors des élections, soit pour l’abstention, soit pour le Front national, parfois par conviction, parfois par détresse.
À gauche, comme à droite, l’essai avait déchaîné les passions. Si Guilluy a essuyé de nombreuses critiques – on a pu lui reprocher un travail insuffisamment rigoureux ou trop biaisé idéologiquement –, la plupart des journalistes, du Figaro, à Libération, en passant par Marianne, ont considéré que c’était un livre essentiel, surtout en ce qu’il permettait de comprendre les déceptions et les aspirations d’une partie de la classe populaire souvent occultée et qui représente un véritable vivier électoral. Après avoir abordé la question des classes populaires dans La France périphérique, puis celle des élites dans Le Crépuscule de la France d'en haut, Christophe Guilluy a décidé de s’attaquer au destin des classes moyennes en Occident.
Dégradation de la situation des classes moyennes
Pour Guilluy, le constat est sans appel. Alors que les classes supérieures ne cessent d’entretenir le mythe d’une classe moyenne intégrée et en phase d’ascension sociale perpétuelle, la réalité est toute autre. Dans tous les pays occidentaux, la classe moyenne a vu sa situation se dégrader. La fameuse « fracture sociale », selon l’expression de Marcel Gauchet, concernait hier les classes populaires fragilisées économiquement et socialement, ce qui permettait d’expliquer d’ailleurs l’enracinement du vote Front national dans ces zones du « périurbain subi ». Aujourd’hui cette « fracture sociale » semble s’être étendue aux classes moyennes sur fond d’une double insécurité, à la fois sociale – c’est-à-dire une insécurité liée aux effets du modèle économique, et culturelle – c’est-à-dire une insécurité liée à l’émergence de la société multiculturelle. Cette insécurité se matérialise dans le fait que les classes moyennes qui avait pour habitude de voter à droite ou à gauche se tourne de plus en plus vers les extrêmes et particulièrement, comme les classes populaires autrefois, vers le Front national. De manière générale, partout en Europe, mais aussi aux Etats-Unis, la vague populiste, dont les experts, il y a 40 ans, disait qu’elle n’était que conjoncturelle et qu’elle ne se limiterait qu’aux territoires de la désindustrialisation, s’est en fait généralisée à de nombreux pays rassemblant classes populaires et classes moyennes contre les classes supérieures.
Gagnants et perdants de la mondialisation
Guilluy montre que cette tendance s’explique par le fait que les anciens clivages ont rendu l’âme. Ce n’est plus une question de droite ou de gauche, de classe ouvrière ou de patron, de ruraux ou d’urbains, mais bien plus une rupture entre les gagnants et les perdants de la mondialisation, les mobiles et les sédentaires, les « gens de quelque part » face aux « gens de n’importe où », expression qu’il emprunte au journaliste et écrivain britannique David Goodhart. Or c’est de la classe moyenne que dépend normalement la stabilité de nos sociétés, puisque, selon les chiffres, elle rassemble entre 50 et 70% de la population. Ainsi, si la classe moyenne sombre, toute la société sombre. Selon Guilluy, le Brexit aux Royaume-Uni, l’élection de Trump aux États-Unis, la montée du Front national en France, pour ne citer que ces exemples, s’expliquent par un décrochage de plus en plus patent de cette classe moyenne qui ne se retrouve plus dans les discours des élites qui promettent prospérité et société ouverte. Leur expérience quotidienne, c’est bien plus la précarité grandissante et le repli des communautés sur elles-mêmes.
Un « soft power » inédit
Pour combattre ce double mouvement, les classes moyennes et les classes populaires ont donc élaboré, sans bruit, un « soft power » par la diffusion d’un discours nationaliste, protectionniste, solidariste et conservateur sur lequel les classes supérieurs n’ont aucune prise. La vague populiste qui traverse le monde occidental n’est donc pas l’effet de l’irrationalité des classes supposément inférieures, mais plutôt l’effet de la trahison des classes supposément supérieures. Qu’on soit d’accord ou non avec les thèses que développe Christophe Guilluy dans No Society : La fin de la classe moyenne occidentale, qui vient de paraître chez Flammarion, l’ouvrage est passionnant et instructif à mains égards ! N’hésitez donc pas à vous le procurer.
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