

Fumer peut être une véritable passion, et bien sûr une addiction. Mais est-ce si grave ? La pression hygiéniste a remplacé la traditionnelle clope par la "vape" électronique. Y aurait-il alors des bonnes ou des mauvaises manières d’être addict ? Où est notre liberté dans cet amour de la dépendance ?
Avant de parler vapotage, j’aimerais vous parler de mon rapport à la cigarette. Je l’ai rencontrée, je l’ai quittée, puis je l’ai retrouvée, avec l’impression de me réconcilier avec une partie de mon moi véritable, enfin j’ai dû la requitter, cette fois-ci pour cause de maternité.
Et je ne l’ai pas retrouvée. Je l’ai remplacée par une cigarette électronique.
Je dois dire qu’après quelques mois de sobriété totale, ça m’a fait du bien de retrouver le geste, le goût, la détente de la nicotine. Tout ça pour vous dire : j’aime fumer, passionnément. Mes meilleurs souvenirs d’amitié, de vacances ou de travail sont associés à la cigarette.
Je m’en veux parfois d’avoir arrêté, d’avoir troqué la cigarette contre un tube en métal à batterie, j’ai l’impression d’avoir cédé à une pression sanitaire et moralisatrice, d’avoir voulu enfouir à nouveau ce moi véritable, tout en me disant que c’est tout autant cliché de penser que la cigarette rend cool.
Bref, c’est un parcours classique de fumeuse, certains comprendront, la plupart trouvera ça terrible, mais voilà, je suis addict. Mais, au fond, est-ce si terrible ?
Terrible addiction ?
Depuis quelques mois, le monde de la cigarette électronique, de la vape, comme on dit, est en pleine agitation. Plusieurs hospitalisations et quelques morts aux Etats-Unis ont suffi à condamner d’emblée l’avatar exemplaire de la cigarette : même geste, même goût, même plaisir, mais avec des dangers moindres. Jusqu’ici, tout allait bien. Ou presque, car la cigarette électronique a toujours provoqué la suspicion.
Fumer grâce à une machine, c’est forcément suspect. On a entendu parler de risques d’explosion, du caractère contre-nature du dispositif, de l’aspect ridicule de l’objet. L’actualité le révèle d’ailleurs : on parle de quelques morts aux Etats-Unis (les victimes, précisons-le, ont inhalé des produits inaptes à cet usage et non contrôlés) où le vapotage est désormais interdit (alors qu'on est à peu près sûrs des millions de morts dus au tabac).
Mais la cohérence n’a pas son mot à dire ici apparemment : on s’est rués sur cette information pour déballer et instrumentaliser la peur contenue dans l’idée d’addiction. Comme si on avait reporté notre terreur de l’addiction sur l’objet lui-même, ou pire, comme si on préférait une bonne vieille addiction à une nouvelle forme de dépendance.
Des bonnes et des mauvaises manières d’être addict ?
On connaît le discours officiel : l’addiction, c’est mal. Et vous savez quoi ? Que la vape soit suspecte ou pas, valorisée ou pas, interdite aux Etats-Unis, ne change rien pour moi. Comme tous les accros, le discours scientifique ou moral n’a que peu d’effet sur ma dépendance. Je ne pourrai pas arrêter de fumer même “un peu”, quel que soit le moyen.
C’est fou d’ailleurs de se dire que les paroles ou le savoir n’ont pas d’effet sur nos comportements : on sait que la planète va mal, mais on ne change pas nos habitudes, on sait qu’on perd en liberté mais on laisse faire, on sait qu’on est dépendant de la nicotine ou autre, mais on s’en accommode.
La cigarette révèle notre amour de la dépendance. Mais la cigarette électronique en révèle un autre, apparemment difficile à entendre : la liberté qu’on peut mettre en oeuvre pour préserver notre amour de la dépendance. Car il faut être sacrément courageux et ingénieux pour rendre acceptable une dépendance. Mais là est peut-être le problème : l’addiction est-elle encore compréhensible, voire attirante, dès qu’elle devient respectable, qu'elle se pratique "à moindre risque" ?
Etre libre d’être dépendant
L’ironie de cette affaire de vape, c’est qu’elle ne va rien changer au fond de l’affaire : notre nature foncièrement dépendante, notre addiction à l’addiction.
Pire, contre toute attente, je crois qu’elle va même rendre plus attirante la vape. Car ce qui apparaît aujourd’hui, c’est ce paradoxe de la dépendance : on est libre de se donner des attaches, des addictions, peu importe leur dose, leur méthode, leur destruction. Et plus l’addiction est terrible, plus elle révèle cette liberté un peu folle : s’aliéner.
Laissez-nous vaper, laissez-nous notre petite dose de liberté ! Je ne suis pas Ministre de la Santé alors je peux le dire : que c’est bon de se faire du mal... sans avoir mal.
par Géraldine Mosna-Savoye
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