

Mérimée, Botul et cette semaine, Claude Simon, que révèle un canular ?
C’est de canulars dont j’aimerais aujourd’hui vous parler. Les canulars ponctuent l’histoire de la littérature et des sciences humaines, de l’invention d’animaux imaginaires aux caméras invisibles en passant par Prosper Mérimée qui s’est fait passer pour une dramaturge espagnole au tout début de sa carrière, jusqu’à maintenant…
Vous en avez peut-être entendu parler en début de semaine : le canular Claude Simon. Ou l’histoire de deux amis qui se sont demandés si l’écrivain, Claude Simon, donc, Prix Nobel de littérature en 1985, serait aujourd’hui publié.
Pour avoir leur réponse, l’un des deux a décidé d’envoyer à 19 maisons d’édition les premières pages de son livre, Le palace, sans en donner le titre ni l’auteur… Et voici ce qui s’est passé, rappel des faits et de leur suite…
Le dictionnaire donne cette définition très courte et simple du canular : c’est un terme familier qui signifie « la mystification, la blague ». Mais à côté de ces deux termes, il faudrait en ajouter un troisième: celui de vérification. Oui, le canular n’est pas seulement une farce, il n’est pas seulement une imposture destinée à piéger et à faire rire, il est aussi une occasion de vérifier une chose.
Quand cet homme, Serge Volle, envoie ainsi les premières pages du roman le plus connu de Claude Simon, ou l’un des plus connus, à toutes ces maisons d’éditions, c’est qu’il veut savoir si Claude Simon serait publié aujourd’hui, il veut en avoir le cœur net, la certitude. De la même manière, une caméra cachée sert à voir comment se comporte, « en vrai », une personne ; ou une œuvre que l’on signe sous pseudonyme (Prosper Mérimée/Clara Gazul, Romain Gary/Emil Ajar, entre autres) s’offre la garantie d’être lue pour elle-même, en dehors de l’idée que l’on se fait de son auteur ou grâce à l’idée qu’on s’en fait…
Le canular est donc un drôle de paradoxe, celui qui consiste à faire la lumière en passant par le mensonge, en avançant masqué, en usant de la dissimulation et du secret. De quoi se poser cette question : la vérité a-t-elle nécessairement besoin du mensonge ? La connaissance de l’erreur ? La certitude de la farce ?
« La vie de Jean-Baptiste Botul, philosophe de tradition orale, est encore mal connue. Seules certitudes : il est né en 1896 et mort en 1947. À part cela, on ne sait pas grand-chose sinon que ce grand esprit, originaire des Hautes Corbières (il pâtit beaucoup de son accent méridional) connut de très près Joséphine Baker, Lou Andreas-Salomé et Simone de Beauvoir. On signale sa présence en Argentine, à Clipperton, en Cilicie et au Paraguay dans des missions restées très secrètes ».
Voici la présentation du philosophe fictif, Jean-Baptiste Botul, créé au milieu des années 90 et que BHL a lu en pensant qu’il existait vraiment, dès lors ridiculisé et vexé. Dans ce cas, sur quoi a-t-on voulu faire la lumière avec ce canular ? Sur son ridicule ? Pourquoi pas. Mais surtout sur la profonde incertitude de nos connaissances, lecteurs certifiés ou écrivains reconnus, incertitude essentielle qui touchent même ceux qui s’en pensent préservés et parlent au nom de l’objectivité, ceux, tels les philosophes, comme le dit Montaigne, qui « veulent se mettre hors d’eux-mêmes et échapper à l’homme » mais ne sont que « des bêtes ».
Ce que le canular semble mettre alors au jour et vérifier à chaque fois, c’est d’abord la crédulité de chacun, une fragilité qu’on peut assumer si on suit Montaigne et son scepticisme, mais c’est surtout la fragilité même de la vérité. La vérité n’a peut-être qu’une face selon Montaigne, mais celle-ci n’est jamais la même selon les époques, ses feintes et ses masques.
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