Le "Black Friday", côté obscur de l’homme ?

5 heures du matin, le jour du "Black Friday", Los Angeles le 28 novembre 2008
5 heures du matin, le jour du "Black Friday", Los Angeles le 28 novembre 2008 ©AFP - JEWEL SAMAD
5 heures du matin, le jour du "Black Friday", Los Angeles le 28 novembre 2008 ©AFP - JEWEL SAMAD
5 heures du matin, le jour du "Black Friday", Los Angeles le 28 novembre 2008 ©AFP - JEWEL SAMAD
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Pourquoi ce jour de soldes à l’échelle mondiale déchaîne-t-il les passions et les critiques ?

On est vendredi 24 novembre, et c’est aujourd’hui le "Black Friday" ! 

Vous en avez sûrement entendu parler : tradition américaine, qui date à peu près des années 60, et qui commence à envahir la France (comme Halloween il y a quelques années), le « vendredi noir » consiste à foncer dans les magasins, au lendemain de Thanksgiving, pour y faire des économies dingues (du type -75%). 

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Aussi appelé "vendredi fou", le phénomène a, justement, un succès fou, comme en témoignent les images de foules en délire, où la civilité n’a plus lieu d’être et qui se déplacent en masse ce jour-là…

Qui dit prix fous, dit donc succès fou, mais dit encore, et c’est ce qui nous intéresse, folle inquiétude. Et en plus de ces vidéos et photos qui tournent depuis des années sur le sujet, on a aussi pu lire cette semaine des articles tout autant affolés… Dénonciation de ces scènes de fureur, qui seraient révélatrices des instincts de consommation les plus vils, mise au jour symbolique d’un système capitaliste qui perd les pédales et d’une planète menacée par nos habitudes… le "Black Friday", c’est mal ! 

Mais pourquoi tant s’attacher, en particulier, à ce phénomène ? Serait-il plus mauvais qu’un autre ? 

Certes, ces tribunes étaient argumentées, mais on pourrait dire la même chose de ces foules pressées, elles aussi justifient très bien leur course effrénée, par l’appât du gain, le simple plaisir des bonnes affaires, ou par les lois de ce monde sans pitié… alors pourquoi tant de haine ? Ou du moins, pourquoi tant de peur devant ce « vendredi noir » ? 

Pourquoi un tel engouement, même dans cette version critique, inquiétée ou amusée ? Qu’est-ce qui, dans ce "Black Friday", fascine donc autant ? A voir les images, à lire les tribunes, ou à écouter une telle parodie (qui mêle ton enjoué et paroles crues), le "Black Friday" serait comme le condensé, en une journée, en certains lieux, d’un système, total, d’économie, de politique, d’écologie, qui va mal. Mais mieux qu’un condensé, ce serait en fait un révélateur de l’homme, anthropologique, un révélateur effrayant, inquiétant, affolant, de la potentialité, de la virtualité du mal en l’homme, de son côté sombre, noir, qui, donc, en une journée, en certains lieux, et à la faveur d’une occasion, se trouve actualisée… 

Et c’est bien ce qui point dans ces critiques, une peur, au fond, de la nature immorale de l’homme. Mais à quoi juger que c’est mal ? A partir de quels critères ? Qu’est-ce qui est mal, ou plus vaste encore comme question, qu’est-ce que le mal ici ? 

Pour, au moins, donner une piste de réponse à cette question du mal, et même en quelques minutes, il y a bien sûr Kant. Et plus précisément, ses réflexions sur le « mal radical », surtout dans La Religion dans les limites de la simple raison. Et ce qui est frappant, c’est qu’il ne constate pas le mal, empiriquement, à partir de phénomènes particuliers comme le "Black Friday", il n’en fait pas non plus une donnée psychologique propre à certains, il en fait, carrément, un des racines de l’homme, de tout homme. 

Le mal est radical, non parce qu’il prend une forme passionnelle extrême, mais parce qu’il est universel. Et le problème est de penser que l’on peut y échapper, de regarder les autres s’écharper, se déchaîner, et de penser s’en excepter. Chacun a en soi un côté sombre et diabolique, un côté "Black Friday", l’essentiel est donc à la fois de voir celui des autres, mais aussi d’être lucide sur le sien.