

Il existe un plaisir peu avouable... celui de s’exploser les boutons ! Mais d’où vient cette géométrie variable du soin : le fait qu'il soit beau et louable dans l’idée, mais impudique voire dégoûtant dans son accomplissement quotidien ? Les boutons seraient-il une expérience philosophique ?
J’aimerais vous parler, pour bien commencer la journée, d’un plaisir peu avouable, et même coupable, mais néanmoins beaucoup plus répandu qu’on ne le pense. Le plaisir… de s’exploser les boutons… J’ai bien conscience de formuler à voix haute quelque chose d’impudique, de dégoûtant, que beaucoup d’entre vous auront envie d’éteindre leurs postes en entendant ça, mais je l’affirme, il y a là un plaisir incontestable. Pourquoi ne pas vouloir exposer en public ce qu’on explose en privé ?
Un événement à double face
Depuis l’adolescence, j’ai développé un goût tout particulier pour les boutons d’acné. Je suis fascinée par ces excroissances et malgré l’âge passant et la stabilisation indéniable de mes hormones, l’apparition d’un bouton est toujours un évènement paradoxal : entre contrariété d’être défigurée et perspective réjouissante de l’exploser.
À l’image de cet évènement à double face, en parler suscite toujours des divisions : la plupart appelle très vite à se taire, à cacher ce qui pourtant s’exhibe, crâne, nous nargue, au milieu de la figure, quand, au contraire, certains s’enchantent qu’on mette enfin les pieds dans le plat et qu’on disserte sur l’art de percer ses boutons, évoquant ses pires comme ses meilleurs souvenirs.
Certes, ceux qui s’en enchantent restent, il faut le dire, minoritaires, et pour avoir lancé le sujet en plein repas familial, face aux mines déconfites et dégoûtées de mes proches, j’ai vite remballé mes réflexions sur ce plaisir pourtant fondamental à se faire la peau. Et je dois le dire, je ne comprends pas pourquoi. Les médias, les livres et nos conversations regorgent de cette idée de soin, mais prendre soin, avec tout ce que ça comporte de banalité et d’impureté, ne serait pas à exposer et à explorer publiquement.
Certes, il s’agit d’un acte qui ne concerne que soi, un acte cru et brutal, mais d’où vient cette géométrie variable du soin, le fait que le soin soit beau et louable dans l’idée mais impudique voire coupable dans son accomplissement quotidien ?
Dissimuler la pureté
D’où vient cette pudeur et même ce dégoût, à parler de ce qui bouleverse nos corps et se lit sur nos visages ? À discuter de la manière dont on s’occupe de soi, dont on veut se montrer à l’autre ? À débattre des normes qu’on intériorise et qui produisent en nous des sensations de gêne avec soi-même et aux yeux des autres quand on a un bouton sur le nez ? En faisant des recherches, j’ai trouvé très peu de littérature sur le sujet… et seul m’est revenu cet extrait de L'assassin habite au 21, le film d’Henri-Georges Clouzot.
Pourtant, les boutons d’acné sont une expérience philosophique passionnante. Avec eux, se jouent des problématiques aussi importantes que l’apparence et ses normes, le soin et ses stratégies privées souvent brutales, le visage comme interface entre soi et les autres, le rapport à la saleté et à la purification, la banalité de ce qui est parfois vécu comme un drame personnel…
Ce qui me frappe ainsi le plus avec le bouton, c’est qu’il serait cette éruption d’une inadéquation entre soi et soi-même : avoir un bouton sur le visage incarnerait une forme de trahison explicite, obscène, de son corps, le stigmate du laisser-aller, la preuve d’un manque de maîtrise. Comme les règles, les kilos ou les poils, l’acné révélerait la place que prend le corps et qu’on ne voudrait pas lui laisser, sa part impure qu’on ne voudrait pas lui voir avoir.
Et là arrive le paradoxe : les sales habitudes qu’on développe avec son corps, pour le lisser, l’assainir, l’adoucir, ne seraient pas non plus exposables, comme si parvenir à la pureté n’était pas non plus une intention avouable, une intention pure…
Soin quotidien
Plus qu’un paradoxe, il y aurait même là un comble : il faudrait qu’il existe une pureté sans purification… Quand on y pense, quelle mauvaise foi ! Car c’est comme s’il fallait que nos enveloppes charnelles soient données parfaitement, telles quelles, sans avoir à faire un geste ni à lever le petit doigt, comme si la pureté de son visage, de son corps, de ses cheveux, de ses poils et de sa peau, devait être un fait, un donné, et pas un travail.
Il faudrait qu’il existe le soin sans soins, qu’on ait l’air soigné sans le faire, qu’on soit plaisant à regarder sans trouver à un plaisir, sinon coupable, à se percer les boutons, à s’arracher les poils, à contempler nos cicatrices, à se compter les cheveux, ou à se presser la peau pour en voir la cellulite.
On voudrait que nos corps soient parfaits, intouchables, mais donc oubliables, négligeables.
Et si le soin, c’était alors aussi ça, quotidien, sale, cru, mais un rappel salvateur que nos corps existent ainsi ?
Sons diffusés :
- Sketch Les Nuls, Publicité Equaton
- Extrait du film L'assassin habite au 21, de Henri-Georges Clouzot (1942)
- Chanson de La Bolduc, J'ai un bouton sur la langue
L'équipe
- Production
- Collaboration