Le "retour à l'essentiel" : épisode 13/23 du podcast Anti-manuel de philosophie

Le "retour à l'essentiel"
Le "retour à l'essentiel" ©Getty - Fanatic Studio/Gary Waters/SCIENCE PHOTO LIBRARY
Le "retour à l'essentiel" ©Getty - Fanatic Studio/Gary Waters/SCIENCE PHOTO LIBRARY
Le "retour à l'essentiel" ©Getty - Fanatic Studio/Gary Waters/SCIENCE PHOTO LIBRARY
Publicité

L'un des conseils suprêmes des coachs philo-développement personnel est celui-ci : "revenir à l'essentiel". Oui, mais pourquoi ? L'essentiel, c'est quoi ? Notre vie est donc faite d'inessentiel, de choses futiles ? S'éparpiller, en quoi cela serait-il moins essentiel ?

J’ai eu l’occasion pendant ces dernières semaines de repos d’entendre à plusieurs reprises une phrase, un conseil même, comme une petite musique qui est revenue doucement mais sûrement à mes oreilles : « revenir à l’essentiel ».
Proches ou moins proches, ils avaient tous ça en tête… Pas seulement pour moi, mais pour chacun d’entre eux et pour eux-mêmes.
Les vacances semblaient le moment adéquat pour le dire et pour le faire. Pourquoi pas, j’étais d’accord pour faire ça, pour « revenir à l’essentiel », mais je me suis demandé : pour faire quoi ? C'est quoi l'essentiel ? 

L'essentiel VS. l'éparpillement 

Vous venez d’entendre une vieille archive de 2013 de Jean-Marc Ayrault… Mais en termes d’essentiel, j’aurais pu aussi vous diffuser une conférence de Pierre Rabhi qui invite à y revenir, ou une interview d'un chanteur, par exemple, qui dit avoir eu besoin de revenir à ce fameux essentiel avec son nouvel album…   

Publicité

Hommes politiques, artistes ou coachs, famille ou amis, ils ont tous ce mot à la bouche : l’essentiel. Ils veulent tous y revenir, le retrouver, s’y concentrer… A force de le dire, je me demande d’ailleurs ce qu’ils font le reste du temps : sont-ils occupés à n’effectuer que de l’inessentiel, de l’accessoire, du futile ?
Je dois dire qu’ils n'ont pas de chance, et ça semble être le cas de la plupart des gens, j’ai l’impression de n’accomplir que des choses essentielles : manger, dormir, travailler, regarder la télé, jouer avec ma fille, lire et faire défiler les images sur Instagram. Autrement dit, des choses qui m’importent.
Alors oui, je vois bien ce qu’ils veulent dire : on perd l’essentiel (et j’en fais partie) car on perd de vue ce qui est important, vraiment : l’attention à l’autre, le temps pour soi, l’écoute ; on s’éparpille en broutilles, en urgences futiles ou en préoccupations superficielles…
Mais pourquoi s’éparpiller ne serait-il pas essentiel ? Pourquoi se perdre dans la futilité ne pourrait-il pas être le sens de nos vies ? Au nom de quoi cela serait-il moins essentiel ? Quelle idée se font donc tous ces gens de ce qu’est l’essentiel pour penser qu’ils ne le font pas et qu’il faut y revenir ?  

"Se désencombrer" 

« Désencombrer », j’adore ce mot, je ne le connaissais pas. Mais en me plongeant dans toute la littérature sur le sujet, il m’est apparu comme un concept clé de cette pseudo-philosophie de l’essentiel. C’est drôle : l’essence qu’on connaît en philosophie aurait laissé sa place à l’essentiel, la complexité à la simplicité, la profusion au minimalisme.   

On voit bien que ce qui se rejoue, sous un autre nom, c’est pourtant l’éternel combat entre l’être et l’apparaître, entre l’essence et l’accident, entre accomplir des choses décisives, belles et vraies, et s’atteler à des tâches sans intérêt, moches et fausses, qui n’apportent rien…
Faire place nette serait donc le mot d’ordre… Mais pour laisser la place à quoi alors ? Que reste-t-il à faire si non seulement l’essentiel ne correspond pas à ce qui nous importe, à des besoins naturels ou culturels (manger, dormir, travailler), et s’il exclut toute futilité (comme se perdre dans de faux débats ou comater devant un écran) ?
Aller vers l’essentiel est en fait un principe qui réussit le tour de force de ne jamais dire ce qu’il recouvre ou ce qu’il est, en quoi il consiste, sauf à dire qu’il est essentiel et donc nécessaire et donc meilleur. A un point tel que je me demande : recouvre-t-il quoi que ce soit ? Est-il quelque chose cet essentiel ? 

Les huiles essentielles

L’injonction à aller vers l’essentiel n’est pas seulement paradoxale, parce qu’elle exhorte à aller vers quelque chose qui n’est rien, elle est aussi paradoxale, car elle invite à retrouver quelque chose qui serait essentiel mais que l’on aurait pourtant oublié. Or, j’ai une question : l’essentiel est-il vraiment essentiel s’il n’est plus, si on l’a oublié, s’il ne nous manque pas.   

Une amie m’a parlé d’huiles essentielles : à entendre ce mot, on a l’impression que ces huiles touchent du doigt notre être profond, qu’elles vont l’aider à s’épanouir. Sans elles, on ne serait pas soi-même… Pourtant, j’en témoigne, on peut s’en passer aisément, et notre être aussi. Sont-elles alors si essentielles ? Et l’essentiel l’est-il tant que ça ?

Le Journal de la philo
5 min

Sons diffusés :

  • Archive BFM TV, octobre 2013, Jean-Marc Ayrault et le retour à l'essentiel 
  • Vidéo Youtube, Olivier Roland, "Comment aller à l'essentiel et avoir plus de bonheur", 8/11/2015
     
  • Chanson de France Gall, Si superficielle