2000 pages du célèbre éducateur pour se demander à qui appartient la langue.
Les œuvres de Fernand Deligny viennent de paraître aux éditions de L’arachnéen. Figure incontournable dans le champ de l’éducation, de l’éducation spécialisée, reconnue pour ses recherches auprès d’enfants autistes, et sa langue si particulière – une émission lui avait d’ailleurs été consacrée au début de l’année ici -, la publication en un livre des œuvres de Deligny, presque 2000 pages (!), est un événement.
Et c’en est un, d’autant plus pour un penseur qui n’a cessé de questionner la langue et celui qui la parle, car la publication de ses œuvres, est bien l’occasion de se demander : à qui doit-on ces œuvres ? C’est-à-dire, et en général, à qui doit-on d’écrire ou de parler ? Ou mieux, qui parle et à qui, et de quoi, quand on parle ? Questions essentielles en cette actualité autour de l’écriture inclusive et du lien entre nous et les mots…
Et Fernand Deligny d’ajouter : « pourquoi faudrait-il que la parole appartienne à quelqu’un, même si ce quelqu’un la prend ? ». Cette interrogation, il la pose dès l’ouverture du documentaire qu’il a réalisé, entre 1962 et 1971, Le moindre geste, retracé ici dans ces Œuvres.
Et cette interrogation, elle est essentielle, on pourrait même dire qu’elle parcourt l’ensemble de ses œuvres, écrites ou filmées, qu’elles apposent la langue sur le papier ou la mettent en scène. Et comment y répondre ? Comment savoir de qui nous vient la parole, et comment être sûre qu’elle devienne la nôtre ?
« Au défaut du langage », « Langage non verbal », titres explicites de deux de ses textes publiés ici, mais aussi à travers des contes, des poèmes, des récits et des scénarios, Deligny met à l’épreuve la langue, ses propriétés et sa propriété : faut-il forcément qu’elle prenne une forme fixe, suivant des règles de grammaire et d’orthographe ? Et surtout, est-elle vraiment un lieu dont on devient propriétaire, que l’on possède ?
Si avec Deligny, on peut se demander jusqu’où, pourquoi et comment la langue est une question de propriété, c’est que la langue elle-même est devenue un territoire déterminée par des enjeux politiques : limitée, figée, par certains, par certaines institutions, comme la psychiatrie, qui s’en sont fait les propriétaires. Mais, alors, comment transgresser ces limites ? Comment vagabonder, plutôt que se fixer ? Et rendre ce territoire mouvant, le déplacer, le tourner ?
Dans ce Gamin, là, film réalisé par Renaud Victor en 1975, avec Fernand Deligny, l’enjeu est de créer un autre lieu justement, le hameau des Cévennes, qui prend la forme d’un lieu de vie et de sens, et non celle d’un territoire institutionnel, réglé, énoncé. Et c’est bien ce que les images de ce gamin, Janmari, nous montrent, tout comme les textes de Deligny : le lieu ne s’impose pas à la langue, mais c’est la langue qui donne vie au lieu et qui dévoile ses sens cachés… Ce qu’a voulu faire Deligny…
Revenir à un asile humain, au sens premier, mais caché de l’asile, c’est bien ce qu’a fait Deligny, même malgré lui, sur le terrain, et dans ses textes qui sont comme des refuges de sens, où l’on préfère se taire et ouvrir grand ses oreilles.
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