

Deux essais pour se demander : pourquoi et comment la musique nous « entête » ?
- Jeanne Proust
Ce sera un Journal de la philo tout en musiques, tout en chansons aujourd'hui, puisque deux ouvrages sont parus sur le sujet : d'abord, l'essai d'Aliocha Wald Lasowski qui tend l'oreille, comme l'indique son titre, au « jeu des ritournelles », et puis, le livre co-écrit par Jeanne Proust et Charles Ramond, Sentiment d'injustice et chanson populaire.
Très différents dans leurs approches et dans leurs choix de musiques, ces deux ouvrages pointent cependant une même question : qu'ont en commun ces chansons qui nous entêtent, nous restent en tête mais nous font perdre la tête ?
Tout commence, dans l'essai d'Aliocha Wald Lasowski, par Haendel, sa célèbre Sarabande et ses premières mesures qui vous ont forcément déjà hanté... mais tout commence aussi, dans un tout autre style, par cette chanson de Phil Philipps, Sea of love, dont la mélodie a de quoi, elle aussi, vous rester en tête...
Entre ce slow sensuel et la classique Sarabande, c'est bien le point commun : on ne parvient pas à s'en lasser ou à s'en débarrasser. Elles nous entêtent, jusqu'à se demander (c'est Aliocha Wald Lasowski qui pose la question) : une musique peut-elle tuer ? Oui, une chanson peut-elle nous mettre à bout ? Pourquoi nous reste-t-elle en tête ? Pourquoi se voit-on la chantonner, toujours à des moments où notre attention reprend le dessus, où l'esprit se ressaisit, mais où notre volonté, elle, semble rester pantoise ?
C'est bien là l'enjeu de ce qu'Alicha Wald Lasowski appelle une « ritournelle » : sa mélodie obsède, son tempo frappe, le tout dissocie le son et le sens, nous hypnotise mais nous tient en éveil, rappelle le passé mais appelle aussi la marche, nous laisse donc dans un état paradoxal, à la fois conscient et rêveur... Et quand Freud l'expérimente avec le Figaro de Mozart, Gide avec Chopin, Barthes avec Schumann, ou encore Deleuze avec Ravel, d'autres sont peut-être moins chanceux...
Céline Dion vous est peut-être déjà restée en tête, ou va vous hanter toute cette journée, mais ça pourrait être aussi une berceuse, ou un chant populaire... Et si leur forme, répétitive, reprise, « ritournellisée », qu'elle soit hurlée ou chantonnée, qu'elle vous soit connue ou non, a de quoi vous entêter, le sens n'y est pas étranger. Dans leur essai, Jeanne Proust et Charles Ramond se penchent ainsi, de leur côté, sur toutes ces chansons populaires qui se font la voix des sentiments ordinaires, mais universels. Comme celui de l'injustice : l'injustice de ne pas être aimé, d'avoir perdu un être aimé, d'être méprisé mais de vouloir s'en balancer...
Comptines, Marseillaise, Célion Dion, mais aussi NTM... ce second essai fait le tour de tout ce qui, par la chanson, exprime donc un état passif, un état subi... et on retrouve ainsi toute la question de la ritournelle qui s'impose à nous... comment reprendre alors le dessus ? Comment ne pas laisser la volonté abattue face au rythme de l'injustice et de la musique ? Par la musique justement, et avec NTM et Lord Kossity qui, en plus de faire danser et agir, et plutôt que de faire littéralement penser, nous laissent bien pensifs...
EXTRAITS
-HAENDEL, Sarabande en ré mineur
-PHIL PHILIPPS, Sea of love
-CELINE DION, Ziggy
-NTM feat. Lord Kossity, Dans ma benz
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